Depuis l’instauration par François Mitterrand, en 1982, d’un impôt sur les grandes fortunes, le débat sur une augmentation de la fiscalité des hauts revenus structure le paysage politique et les oppositions idéologiques. La controverse, récurrente, a été relancée, jeudi 12 juin, par le rejet d’une proposition de loi présentée au Sénat visant à taxer le patrimoine des ultrariches.
Adopté à l’Assemblée nationale en première lecture, le texte a été largement repoussé par la Haute Assemblée, dominée par la droite et le centre. Si cette initiative parlementaire avait peu de chances d’aboutir, elle pose une question pertinente. Est-il acceptable que l’ensemble des Français soient proportionnellement taxés quasiment deux fois plus sur leurs revenus qu’un milliardaire ?
Tandis que les premiers sont soumis à un taux de prélèvement moyen (impôts et cotisations sociales) de 50 %, le chiffre tombe à 27 % pour le second. Cet écart, mis en évidence par une étude de l’Institut des politiques publiques publiée en 2023, s’explique par la possibilité offerte aux grandes fortunes de recourir à des mécanismes d’optimisation fiscale, qui, bien que légaux, conduisent à rendre l’impôt régressif à partir d’un certain seuil.
Pour y remédier, l’inspirateur de la proposition de loi, l’économiste Gabriel Zucman, soutenu par Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, et Jean Pisani-Ferry, architecte du programme économique d’Emmanuel Macron en 2017, préconise la création d’un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des foyers fiscaux dont la fortune dépasse les 100 millions d’euros. La mesure cible 1 800 contribuables. Une assiette fiscale étroite, mais dont le rendement pourrait potentiellement atteindre entre 15 et 25 milliards d’euros.
La taxation porterait non seulement sur les revenus qui échappent en grande partie à l’impôt, mais aussi sur les biens professionnels jusque-là exonérés. Quelques effets de bord ne doivent pas être négligés. Le cas des jeunes entreprises dont la valorisation propulse le fondateur dans la catégorie des ultrariches, sans qu’il dispose nécessairement des liquidités pour s’acquitter de son impôt, est problématique. Une valorisation de marché est virtuelle et peut rapidement fluctuer, ce qui complique le calcul de l’imposition.
L’exil fiscal constitue un autre écueil. Pour relativiser l’argument, Gabriel Zucman s’appuie sur des études qui tendent à démontrer que, lorsqu’un impôt sur la fortune est créé, le nombre de départs à l’étranger pour y échapper est marginal. Toutefois, un tel niveau de taxation n’a jamais été expérimenté et la catégorie concernée est celle qui est la plus à même de s’expatrier. « Vous pensez que, si la France toute seule met une taxe sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, les gens vont gentiment rester pour être taxés ? », a déclaré Emmanuel Macron, le 13 mai, plaidant pour une initiative mondiale et coordonnée. Le problème est que celle-ci mettra beaucoup de temps à aboutir, même si elle a été portée à l’agenda officiel du G20 en 2024.
Au moment où le désendettement de la France s’impose à tous et requiert l’effort de chacun, le débat doit se poursuivre en évitant les anathèmes à gauche et à droite. Laisser entendre qu’un impôt sur les milliardaires résoudra, à lui seul, le problème des finances publiques relève de la fable, mais défendre le statu quo au motif que les plus riches n’ont pas de frontières est délétère pour le fragile contrat fiscal qui lie encore les Français.