Metteur en scène, dramaturge, comédien, Wajdi Mouawad dirige, depuis 2016, le Théâtre national de la Colline, à Paris, voué aux écritures contemporaines. A 56 ans, cet auteur libano-canadien, dont la famille a vécu deux exils, y présente, jusqu’au 22 décembre, sa pièce Racine carrée du verbe être.
Je ne serais pas arrivé là si…
… Si, en 1983, ma famille était partie, comme c’était convenu, vivre au Texas. Après cinq années passées en France pour fuir la guerre civile au Liban, nous n’avions pas obtenu le renouvellement de nos cartes de séjour. La situation libanaise était si épouvantable qu’y retourner n’était pas envisageable. Mon père a alors fait une demande d’immigration pour que nous puissions rejoindre deux de mes tantes et oncles, installés aux Etats-Unis, en banlieue éloignée de Houston. Mais, au même moment, une nouvelle loi texane interdisait les enfants de famille de migrants âgés de plus de 24 ans d’entrer sur le territoire. Or, ma sœur avait 25 ans. Pour ma mère, il était hors de question de partir sans elle. Il a fallu trouver une solution rapidement. Ce fut Montréal, où nous avions aussi une tante. A cette époque, c’était très « simple » d’immigrer au Canada.
Pourquoi les Etats-Unis auraient-ils tant modifié votre destinée ?
D’abord, il aurait fallu changer de langue, passer du français à l’anglais, alors que je n’étais pas très bon à l’école. Ensuite, ma famille n’était pas portée sur les arts. Je n’aurais pas fréquenté le monde culturel, je ne serais devenu ni auteur ni metteur en scène. J’aurais sans doute choisi un chemin professionnel très différent, comme mes cousins, qui ont travaillé à l’aéroport ou dans la restauration. La banlieue où nous aurions vécu a voté à 87 % pour Donald Trump en 2020.
Quels souvenirs gardez-vous de vos dix premières années au Liban ?
Mon enfance libanaise a plutôt été heureuse. Je n’étais pas un enfant sensible, doué d’empathie. Je ne pensais qu’à jouer et à être avec mes copains. Il y avait des bombardements, mais j’étais comme un bout de bois, les événements choquants ne me pénétraient pas. J’allais vers mon plaisir, ça m’a étrangement protégé. J’étais inconscient, je ne voyais pas ce que mes parents subissaient. Je voulais faire comme les grands. J’avais hâte d’avoir une Kalachnikov, de pouvoir moi aussi être un milicien. Ça me fascinait de les voir. Je voulais, comme eux, être un combattant.
En 1978, la guerre civile au Liban pousse votre famille à l’exil…
Il vous reste 81.26% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.