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Histoires Web dimanche, septembre 8
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« Lune », d’Auguste Herbin, 1945. Huile sur toile, 61 × 50 cm. 
L’artiste français (1882-1960) a conçu cette œuvre à partir de l’« alphabet plastique », un abécédaire de son invention, où chaque lettre correspond à des formes géométriques, une couleur et des notes de musique.

Comme beaucoup de personnes dans son cas, Caroline Andrieu a découvert assez tard, vers 45 ans, cette particularité du fonctionnement de son cerveau. « Auparavant, je croyais que tout le monde pouvait voir défiler les mots prononcés en sous-titres dans sa tête, comme moi », explique cette journaliste de presse écrite à Paris. C’est en éditant un article qui relatait cette intrigante faculté du cerveau, en 2018, qu’elle en prend conscience.

Transcrire automatiquement les mots parlés en mots écrits, une propriété cérébrale venue de loin. « Avant même l’apprentissage de la lecture, je me souviens qu’en écoutant quelqu’un parler je voyais un gribouillis furieux s’inscrire dans ma tête. Je me sentais privée d’un outil de compréhension de ce que j’entendais, cela créait en moi un sentiment d’insécurité profonde, raconte-t-elle. Quand j’ai appris à lire, tout s’est éclairé d’un coup. »

Caroline présente une forme particulière de synesthésie (du grec syn pour « union », et aesthesis, pour « sensation »), une condition neurologique qui n’est nullement pathologique. Le cerveau des synesthètes associe automatiquement différentes modalités sensorielles. Par exemple, une couleur à un son ou à un chiffre : chez certains, le A est toujours rouge ; chez d’autres, le 8 se colore de bleu et chez d’autres encore, de rouge… On estime à quelques pour-cent la proportion de personnes synesthètes, toutes formes confondues – difficile d’être plus précis.

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Caroline, elle, présente une synesthésie des sous-titres. Quand on lui parle au téléphone, les sous-titres s’écrivent dans une police de caractères différente de celle qui s’affiche quand le locuteur est en face d’elle. Quand quelqu’un parle fort, « ça s’écrit plus gros », précise-t-elle. Baisse-t-il ou hausse-t-il le ton ? « Cela forme des vagues. » Entend-elle du chinois, langue qu’elle ne comprend pas ? Elle voit une suite de n « toujours en italique ».

Un phénomène très peu étudié

Dès 1883, l’anthropologue Francis Galton (un cousin de Darwin) a décrit cette capacité de « quelques personnes à voir mentalement imprimé chaque mot prononcé ». Depuis, le phénomène était resté très peu étudié.

Mais, en 2015, un jeune retraité fait bouger les choses. « J’ai contacté Laurent Cohen, neuroscientifique à l’Institut du cerveau, à Paris, car j’ai pensé que mon cas pourrait l’intéresser », raconte François Le Chevalier. Dès qu’on s’adresse à lui, qu’il parle à autrui ou qu’il imagine des dialogues, « ça s’écrit tout seul » dans sa tête, « avec les mêmes fautes d’orthographe [qu’il fait] parfois ». Le phénomène lui semble « si naturel » qu’il a cru aussi, jusqu’à ses 60 ans, que tout le monde fonctionnait ainsi.

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