Même à l’heure d’Internet, l’éloignement est souvent cruel pour les familles. On maintient le contact à distance, puis on se parle de moins en moins. Surtout quand on dépasse le stade de la famille nucléaire soudée autour des parents. C’est pourquoi, quand le patron de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, explique dans Les Echos que son groupe passera bientôt d’un « modus operandi de fratrie à une forme de cousinade entre entités », réunie par leur seul actionnaire commun à 30 %, le groupe Bolloré, on a compris le sous-titre : Vivendi, c’est fini.
La décision, entérinée par le conseil de surveillance, lundi 28 octobre, de scinder le groupe en quatre sociétés cotées sur des places différentes acte la fin d’un mythe qui a présidé durant un quart de siècle à l’existence d’un groupe en quête perpétuelle d’identité.
L’architecte d’origine, Jean-Marie Messier, avait son idée. Il a progressivement recentré le groupe issu de la Compagnie générale des eaux en une entreprise de communication au sens large. Comme beaucoup d’autres au seuil des années 2000 bouleversées par l’arrivée d’Internet, il rêvait de marier « les contenus et les tuyaux », les télécommunications et les médias. Mais à peine constitué, à coups d’acquisitions spectaculaires, notamment dans le cinéma, la musique et l’édition, son groupe, au bord de la faillite a été détricoté par ses successeurs : vente de l’édition en 2003, du cinéma en 2004, des jeux vidéo en 2008, des télécoms en 2014.
Retricotage désordonné
Paradoxalement, la prise de contrôle du groupe par Vincent Bolloré cette même année redonne de la vigueur au mythe avec le retour de la publicité de Havas, la tentative d’acquisition des jeux vidéo Ubisoft, l’entrée au capital de Telecom Italia. Mais le retricotage désordonné du tissu n’a été que de façade. Habile financier, l’entrepreneur breton s’est surtout attaché à la valorisation de son capital. L’ambition d’un groupe de média unifié n’était qu’un songe auquel il n’a probablement jamais cru.
Alors les « frères » qui ne se parlaient pas deviendront des « cousins » éloignés qui suivront chacun leur destin. Ils seront plus faciles à céder ou à marier. C’est ce que l’on peut faire de mieux en matière de gestion patrimoniale quand on pense à sa succession. Cette industrie est si particulière.
Séduisante, elle aimante les puissants, avides de reconnaissance et d’influence. Rebelle et pauvre, elle les repousse par son caractère et sa fragilité financière. Même aux Etats-Unis, où ce secteur est extraordinairement prospère, les grands groupes de médias unifiés sont rarissimes. L’opérateur téléphonique AT&T a tenté, avec sa filiale Warner, de croire au mariage « des tuyaux et des contenus ». Avant de se désengager en la fusionnant en 2022 avec le groupe Discovery. La seule exception est Disney, qui a su décliner son savoir-faire créatif autour d’innombrables activités. Ailleurs, les synergies promises ne sont que des mirages. L’existence tumultueuse de Vivendi, dont on cherche encore le sens aujourd’hui, en est la plus parfaite illustration.