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C’est l’histoire d’un petit garçon atteint d’une maladie génétique sévère et extrêmement rare, qui a bénéficié à l’âge d’environ 7 et 8 mois d’un traitement personnalisé d’édition du génome. Il a consisté à modifier une seule lettre (base) dans l’ADN pour corriger l’anomalie responsable de cette pathologie.

Les résultats préliminaires, particulièrement prometteurs, de ce traitement innovant sont rapportés dans un article paru le 15 mai 2025 dans l’hebdomadaire médical américain The New England Journal of Medicine (NEJM). Cette publication constitue une étape majeure dans l’évolution des thérapies personnalisées des anomalies congénitales rares et ultra-rares du métabolisme.

L’enfant est atteint de la forme néonatale d’une maladie dénommée déficit en carbamoyl-phosphate synthétase 1 (CPS1). Cette pathologie rare fait partie des erreurs innées du métabolisme, caractérisées par un dysfonctionnement enzymatique perturbant le métabolisme cellulaire.

Maladie mortelle dans 50 % des cas dans les premiers mois de vie

L’incidence du déficit en CPS1 est estimée à 1 cas pour 800 000 à 1,3 million de naissances. Cette maladie est mortelle chez environ la moitié des nourrissons au cours des premiers mois de vie. Elle est due à des mutations dans le gène qui code la CPS1, enzyme présente dans les cellules du foie. Plus précisément, dans les hépatocytes, elle localisée dans les mitochondries, ces organites qui fournissent l’énergie nécessaire à l’activité cellulaire.

Le déficit en CPS1 perturbe le cycle de l’urée, une série de réactions biochimiques qui transforme l’ammoniaque, produit de la dégradation des protéines, en urée, éliminée dans les urines.

Cette maladie se manifeste généralement par un taux très élevé d’ammoniaque dans le sang. L’hyperammoniémie massive apparaît le plus souvent dans les 24 à 48 heures qui suivent la naissance. Elle est toxique pour le cerveau et peut entraîner un coma ou même la mort sans prise en charge rapide.

Les options thérapeutiques sont limitées : dialyse pour réduire l’ammoniaque plasmatique, administration d’un médicament qui capte l’azote, régime pauvre en protéines, et, plus tard, greffe de foie. Cela dit, le pronostic neurologique demeure souvent médiocre.

L’édition de base : une correction sans coupure de l’ADN

L’analyse rapide du génome de l’enfant a révélé une mutation ponctuelle, d’origine paternelle, dans le gène CPS1, correspondant à une seule lettre erronée. Pour la corriger, l’équipe de Kiran Musunuru et Rebecca Ahrens-Nicklas de l’hôpital pour enfants de Philadelphie a utilisé une stratégie appelée édition de base (base editing en anglais). Ces travaux ont impliqué la collaboration de plusieurs partenaires académiques et industriels, dont l’Innovative Genomics Institute de l’Université de Californie à Berkeley, le Massachusetts General Hospital–Harvard Medical School (Boston), les sociétés Aldevron (Fargo, North Dakota) et Acuitas Therapeutics (Vancouver, Canada).

Cette technique permet de modifier une unique lettre (ou base) dans l’ADN d’une cellule vivante, sans couper la double hélice. Très ciblée et d’une grande précision, elle corrige la mutation responsable de l’interruption de la synthèse d’une protéine. Une fois la séquence génétique restaurée, la cellule peut de nouveau produire une protéine complète et fonctionnelle.

Petit rappel : l’alphabet de l’ADN repose sur quatre bases : A (adénine), T (thymine), C (cytosine) et G (guanine), qui s’apparient deux à deux : A avec T, C avec G. Chaque paire constitue un « barreau » de l’échelle hélicoïdale que forme la molécule d’ADN.

Réécrire une seule lettre dans l’ADN de manière précise et ciblée

Les chercheurs ont eu recours à un éditeur de base adénine, un outil capable d’agir directement sur le site de la mutation pour corriger la mauvaise lettre, sans couper l’ADN. Plus précisément, cet éditeur fait en sorte qu’une paire de bases A–T (adénine-thymine) devienne finalement une paire G–C (guanine-cytosine).

L’édition de base est une technique plus précise que l’édition classique CRISPR–Cas9, qui agit un peu comme des ciseaux moléculaires en coupant l’ADN, avant que la cellule ne répare la cassure. Ces coupures peuvent parfois provoquer des effets secondaires imprévus, appelés « effets hors-cible ». En revanche, l’édition de base fonctionne comme une « gomme génétique de précision » : il modifie une seule lettre du génome sans jamais couper la double hélice d’ADN. Autrement dit, il s’agit de réécrire une seule lettre, ciblée avec précision, pour corriger la paire de bases porteuse de la mutation responsable de la maladie.

Trouver l’endroit exact à corriger grâce à un « ARN guide »

Ce nourrisson était porteur de deux mutations dans le gène CPS1, l’une d’origine paternelle, l’autre d’origine maternelle. Les chercheurs ont décidé de corriger la mutation pathogène héritée du père (un unique A ayant été substitué par un G).

Ce système d’édition de base comprend une enzyme issue de CRISPR, appelée Cas9, fusionnée à une adénosine désaminase, capable de modifier chimiquement une lettre défectueuse dans l’ADN. Pour que cet outil agisse au bon endroit, il est guidé vers la mutation grâce à un second composant : un ARN guide, petit fragment d’ARN utilisé pour cibler précisément la mutation.

L’ARN guide oriente Cas9 vers cette séquence cible, placée à proximité immédiate d’un court motif de reconnaissance, appelé PAM, indispensable à la fixation de Cas9. Une fois solidement fixé à l’ADN, l’outil déclenche la conversion chimique de la mauvaise base en une base correcte. L’adénosine désaminase transforme alors la lettre A (adénine) en inosine, interprétée ensuite comme une G (guanine) par la machinerie cellulaire. Ce processus permet ainsi de convertir une paire de bases A–T en une paire G–C.

Mais tous les ARN guides ne se valent pas : il faut en choisir un qui positionne l’outil d’édition de base de manière à ce que l’adénosine désaminase soit parfaitement positionnée et orientée pour convertir la lettre A en G, une fois l’outil solidement fixé sur la séquence d’ADN cible.

Les chercheurs ont testé une trentaine d’ARN guides afin de trouver celui qui reconnaît au mieux les motifs spécifiques de l’ADN tout en plaçant Cas9 dans la meilleure position. Un vrai travail d’orfèvre.

Développement d’un traitement génétique personnalisé en un temps record

Plusieurs combinaisons éditeur de base–ARN guide ont été construites et testées une à une pour identifier celle qui corrige la mutation avec la plus grande efficacité et la meilleure précision. Mais ce n’est pas simple : ces essais nécessitent d’utiliser des cellules porteuses de la mutation, et idéalement des cellules du même type que celles affectées par la maladie, ici les cellules du foie. Or, cultiver ce type de cellules en laboratoire est souvent difficile et pour certaines maladies rares, il faut parfois attendre plusieurs mois, voire une année entière, avant de disposer des cellules nécessaires pour réaliser ces expériences.

Pour tester les différentes combinaisons de leur outil d’édition de base, les chercheurs ont inséré la version mutée du gène CPS1 du nourrisson dans l’ADN d’une lignée de cellules hépatiques humaines. La création de cette lignée cellulaire et la sélection de la meilleure combinaison éditeur de base adénine–ARN guide ont été réalisées en seulement deux mois, un délai exceptionnel.

Études précliniques

Avant de traiter le nourrisson, les chercheurs ont mené des études précliniques sur des cellules humaines, des souris transgéniques et des singes. Ces travaux ont montré qu’à faible dose, le traitement expérimental permettait une correction efficace de la mutation ciblée (jusqu’à 42 % des cellules corrigées dans le foie des souris), sans toxicité clinique significative. Les analyses de sécurité n’ont pas détecté d’édition hors cible dans les hépatocytes humains traités. Ces résultats ont permis de déterminer une dose initiale jugée sûre pour une première administration chez l’enfant.

Une demande d’autorisation pour ce traitement expérimental a été soumise à la Food and Drug Administration (FDA), qui a donné son accord une semaine plus tard.

Anticipant un risque éventuel de réponse immunitaire contre la protéine CPS1 entière, que l’organisme du patient n’avait probablement jamais produite, et donc la production d’anticorps, les médecins ont choisi d’administrer au nourrisson un traitement immunosuppresseur préventif (sirolimus puis tacrolimus), en évitant les corticoïdes, médicaments susceptibles d’élever le taux d’ammoniaque chez les patients atteints de déficit en CPS1.

Alors que le taux sanguin d’ammoniaque avait atteint 1 000 micromoles/L pendant les 48 premières heures de vie, il est retombé à 23 micromoles/L après la première injection du
traitement d’édition de base.

Une première injection de l’outil d’édition de base, puis une seconde

KJ, initiales du prénom du nourrisson, ont inspiré aux chercheurs le nom de « kayjayguran » pour désigner l’ARN guide, encapsulé dans des nanoparticules lipidiques. L’éditeur de base adénine (ABE, pour Adenine Base Editor) a été dénommé « abengcemeran ». Quant au traitement lui-même, il a été baptisé « k-abe » (pour faire court).

Le 25 février 2025, le traitement expérimental k-abe a été administré par voie intraveineuse à ce nourrisson alors âgé d’environ 7 mois, à une dose totale de 0,1 mg d’ARN par kilo de poids corporel. Après cette injection, l’apport protéique alimentaire a pu être augmenté, parfois au-delà des recommandations pour l’âge chronologique, l’enfant étant né prématuré (à 35 semaines de gestation).

Une seconde perfusion de k-abe (0,3 mg d’ARN/kg) a été administrée 22 jours après la première, la correction biochimique initiale étant jugée incomplète. Malgré la survenue de deux infections virales (chacune avec diarrhée et vomissements), l’enfant n’a pas présenté de crise d’hyperammoniémie et a pu poursuivre son régime protéique sans interruption. La baisse du taux d’ammoniaque, stabilisé à 13 micromoles/L, témoigne d’une restauration effective de l’activité enzymatique.

Deux semaines après la deuxième perfusion, la dose de glycérol phénylbutyrate, médicament utilisé pour réduire les taux élevés d’ammoniaque dans les troubles du cycle de l’urée, a pu être réduite de moitié, sans effets indésirables notables. L’enfant a pris du poids et son état neurologique est resté stable.

Limites et perspectives

Bien que les auteurs aient observé une stabilisation de l’état clinique du nourrisson, la principale limite de cette étude réside dans la brièveté du suivi, qui ne permet ni d’évaluer pleinement la sécurité et l’efficacité à long terme, ni de prévoir l’évolution neurologique de l’enfant. De plus, aucune preuve directe de la correction du gène dans le foie n’a pu être obtenue, une biopsie hépatique, geste invasif, étant trop risquée pour ce tout-petit.

Plusieurs points restent à éclaircir, notamment la durée de l’effet thérapeutique, la proportion réelle de cellules hépatiques modifiées, ainsi que les éventuels risques d’effets hors-cible ou de réactions immunitaires. Un suivi prolongé est donc indispensable pour répondre à ces questions.

Pour les auteurs de l’article du NEJM, il serait crucial de développer des méthodes peu invasives pour vérifier le succès de la stratégie d’édition de base, en évitant ainsi les risques associés à la biopsie hépatique. Parmi ces méthodes, on pourrait envisager des tests sanguins ciblant des marqueurs spécifiques ou des analyses quantitatives approfondies des métabolites. Ils concluent que, bien que ce traitement ait été conçu en situation d’urgence pour une maladie métabolique néonatale dévastatrice, ils anticipent que « le déploiement rapide de thérapies d’édition génique personnalisées deviendra bientôt une pratique courante pour un grand nombre de maladies génétiques ».

Ces résultats prometteurs suscitent de l’espoir mais, pour devenir une thérapie fiable et utilisable à grande échelle, la technique doit encore progresser, avertissent Andrea Gropman (St. Jude Children’s Research Hospital, Memphis) et Alexis Komor (université de Californie, San Diego) dans un éditorial associé. Selon eux, « le passage d’une preuve de concept à un traitement standard nécessitera une supervision éthique et réglementaire rigoureuse. Pour les patients atteints de la déficience en CPS1 et d’autres maladies ultrarares similaires, ces résultats sont sources d’espoir, mais nécessitent néanmoins une validation par le traitement d’un deuxième patient, d’un troisième, et au-delà ».

Une chose est sûre pour Peter Marks, ancien directeur du Center for Biologics Evaluation and Research (CBER) à la FDA et signataire d’un second éditorial dans le NEJM sur les progrès dans le développement des thérapies conçues et développées spécifiquement pour un seul patient (N-of-1 therapy, en anglais) : « Plus de 7 000 maladies rares affectent environ 30 millions de personnes aux États-Unis et 300 millions dans le monde. Si toutes ne sont pas éligibles aux technologies actuelles d’édition du génome, plusieurs centaines, voire des milliers, pourraient l’être grâce à une approche d’édition de base similaire à celle utilisée par l’équipe de Kiran Musunuru ».

Pendant ses neuf années à la tête du CBER, Peter Marks a été un fervent soutien de la recherche sur les maladies rares, supervisant l’autorisation de 22 thérapies géniques. Son départ inattendu de la FDA en mars dernier a toutefois jeté une ombre sur l’avenir réglementaire des thérapies cellulaires et géniques. Malgré cette incertitude, il reste confiant quant aux progrès en cours : « bien que des travaux supplémentaires soient nécessaires pour délivrer de manière reproductible des outils d’édition génique dans d’autres tissus que le foie, des avancées sont déjà en cours pour cibler la moelle osseuse, les lymphocytes T et le cerveau ».

Le petit KJ, quatrième enfant de Kyle et Nicole Muldoon, aura dix mois le 1er juin prochain. Ses parents n’auraient jamais imaginé que leur enfant gravement malade deviendrait le tout premier patient au monde à bénéficier d’une édition de base personnalisée, une approche innovante pour tenter de guérir sa redoutable maladie génétique ultra-rare.

Pour en savoir plus :

Musunuru K, Grandinette SA, Wang X, et al. Patient-Specific In Vivo Gene Editing to Treat a Rare Genetic Disease. N Engl J Med. 2025 May 15. doi : 10.1056/NEJMoa2504747

Gropman AL, Komor AC. Personalized Gene Editing to Treat an Inborn Error of Metabolism. N Engl J Med. 2025 May 15. doi : 10.1056/NEJMe2505721

Marks P. Progress in the Development of N-of-1 Therapy. N Engl J Med. 2025 May 15. doi : 10.1056/NEJMe2505704

Tsuchida CA, Wasko KM, Hamilton JR, Doudna JA. Targeted nonviral delivery of genome editors in vivo. Proc Natl Acad Sci U S A. 2024 Mar 12 ;121(11) :e2307796121. doi : 10.1073/pnas.2307796121

Musunuru K, Chadwick AC, Mizoguchi T, et al. In vivo CRISPR base editing of PCSK9 durably lowers cholesterol in primates. Nature. 2021 May ;593(7859) :429-434. doi : 10.1038/s41586-021-03534-y

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