En larmes, « brisé », le militant kényan des droits humains, Boniface Mwangi, a raconté lundi 2 juin la « torture sexuelle » et les brutalités que lui ont infligé mi-mai les forces de sécurité tanzaniennes lors de son enlèvement à Dar es-Salaam.
L’opposition tanzanienne et les ONG de défense des droits humains dénoncent la répression politique croissante de la part de l’exécutif de la présidente Samia Suluhu Hassan, qu’ils accusent de retomber dans les pratiques autoritaires de son prédécesseur John Magufuli (2015-2021).
Il y a une dizaine de jours, l’activiste ougandaise Agather Atuhaire, avec qui Boniface Mwangi avait été enlevé, avait dénoncé des exactions similaires auprès de l’Agence France-Presse (AFP). Tous deux avaient été arrêtés le 19 mai dans la capitale économique Dar es-Salaam, où ils étaient venus soutenir le chef de l’opposition tanzanienne, Tundu Lissu, qui comparaissait devant la justice pour trahison, un crime passible de la peine de mort.
« Ce qu’ils nous ont fait, cela me brise », a témoigné M. Mwangi, qui est arrivé lors d’une conférence de presse à Nairobi avec Mme Atuhaire en s’appuyant sur des béquilles, les pieds dans des attelles. « Je hurlais tellement fort que je ne pouvais plus respirer. Je n’avais même pas de larmes tellement c’était douloureux », a poursuivi ce militant des droits humains kényan, narrant les coups à répétition sur la plante des pieds, mais aussi l’insertion de doigts et d’objets dans son anus. Pendant qu’il était torturé, « ils me disaient : “Dis asante [merci en swahili] Samia” », en référence à la présidente tanzanienne, Samia Suluhu Hassan, a-t-il encore raconté.
« La seule chose que je désire, c’est la justice »
M. Mwangi avait été trouvé le 22 mai au bord d’une route du nord de la Tanzanie, près de la frontière kényane. Agather Atuhaire a dit avoir été le lendemain déposée au petit matin par des agents tanzaniens près de la frontière ougandaise. Le jour de l’arrestation des deux militants des droits humains, la présidente tanzanienne avait demandé à ses forces de sécurité d’interdire l’accès au pays aux « activistes » étrangers qui tentent de « s’ingérer dans nos affaires ».
« Je viens d’un pays très dictatorial, où règne l’impunité. Mais je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je trouverais un pays étranger pire, un gouvernement pire », s’est indignée Mme Atuhaire lors de la même conférence de presse à Nairobi. « Vous ne pouvez pas être la cheffe d’Etat, la présidente, et cautionner publiquement et sans vergogne la torture, les violences sexuelles », a-t-elle encore dénoncé.
Une plainte avait été déposée en Tanzanie pour les tortures subies et qu’elle se battrait jusqu’au bout, a annoncé la militante ougandaise : « La seule chose que je désire, c’est la justice, a-t-elle insisté. C’est ce qui m’a permis de tenir le coup dans cette situation. » « Nous sommes donc ici pour partager notre histoire et pour dire que nos corps sont peut-être brisés, mais notre esprit est fort », a encore souligné M. Mwangi, regrettant que la « plupart des militants tanzaniens vivent des choses similaires ».
Des élections présidentielle et législatives sont prévues en octobre dans ce pays d’Afrique de l’Est de plus de 65 millions d’habitants, gouverné par le même parti depuis l’indépendance en 1961. Tundu Lissu, principal adversaire pressenti de la présidente, a été arrêté et inculpé début avril pour trahison pour ses « incitations à bloquer les élections », selon la police. Ses partisans dénoncent des accusations politiques et son parti a été exclu des prochains scrutins. L’opposant est apparu au tribunal lundi et a réitéré devant le public sa campagne « pas de réformes, pas d’élections », ce qui lui valu une mise en garde d’un magistrat. L’affaire a été reportée au 16 juin.