A peine le tribunal de commerce international des Etats-Unis, un organe fédéral, venait-il de porter un coup sévère à l’administration de Donald Trump en bloquant les droits de douane imposés à une bonne partie du monde, le 28 mai, que l’un des plus proches conseillers du républicain dénonçait un « coup d’Etat judiciaire ». La décision, aussitôt contrée par une cour d’appel saisie en urgence par la Maison Blanche en attendant un jugement sur le fond par la Cour suprême des Etats-Unis, est potentiellement majeure et pas seulement du fait de ses implications éventuelles pour les économies de très nombreux pays. Elle constitue avant tout un test pour la solidité des institutions des Etats-Unis.
Contrairement à ce qu’affirme le conseiller du président, ce qui est en jeu n’est pas une politique dont des magistrats disposeraient à leur guise, au mépris d’une volonté populaire exprimée dans les urnes, mais les moyens utilisés pour la mettre en œuvre. Les trois juges du tribunal fédéral, deux nommés par des présidents républicains, dont un par Donald Trump lui-même, et un par un président démocrate, estiment en effet que celui-ci n’avait pas le droit de se prévaloir d’une loi votée en 1977 pour se lancer dans une guerre commerciale par ailleurs sans précédent dans l’histoire des Etats-Unis. Un autre juge fédéral est parvenu à la même conclusion le 29 mai.
Les pouvoirs qu’accorde ce texte au président ne valent en effet qu’en cas de « menace inhabituelle et extraordinaire (…) pour la sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie des Etats-Unis ». Rien qui corresponde à la situation prévalant, en mars, lors du déclenchement des hostilités douanières. Il faut ajouter que cette loi relative aux « pouvoirs économiques d’urgence internationaux » avait été adoptée dans le but précis de limiter la propension du pouvoir exécutif à s’abriter derrière des déclarations d’urgence pour accroître ses marges de manœuvre. Les juges fédéraux ont estimé que la lettre et l’esprit de la loi avaient donc été violés. Aucun président avant Donald Trump n’a d’ailleurs invoqué la loi de 1977 pour justifier l’imposition de taxes douanières.
L’immigration, théâtre d’une guérilla
Cette tentative de passage en force menace directement le Congrès, auquel la Constitution des Etats-Unis confère le pouvoir de « réglementer le commerce avec les nations étrangères ». L’équilibre des pouvoirs est donc directement affecté par la tentation autoritaire du président. Dans une République idéale, le rappel à l’ordre aurait dû venir du Congrès lui-même. Hélas, la servilité des élus républicains à l’égard de Donald Trump fait qu’ils seront les derniers à défendre leurs droits. Il revient donc à la plus haute instance judiciaire des Etats-Unis de rappeler, en dépit de sa majorité conservatrice, que dans une démocratie le pouvoir exécutif n’est pas sans limites.
S’il y a une urgence actuellement aux Etats-Unis, c’est bien d’une telle clarification, compte tenu de la volonté opiniâtre de la Maison Blanche de s’asseoir sur les normes juridiques. Le dossier de l’immigration est ainsi devenu le théâtre d’une guérilla : l’administration Trump tutoie régulièrement la crise institutionnelle en faisant peu de cas des injonctions qui lui sont adressées à la suite de l’invocation, à tort et à travers, de lois parfois antédiluviennes. Donald Trump ne peut ignorer que la grandeur de l’Amérique tient aussi au respect des principes qu’elle s’est donnés.