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Histoires Web samedi, avril 27
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Livre. Le titre déjà vaut que l’on s’y arrête. Ce « geste vers le bas » suit curieusement une pente douce qui fait baisser la nuque et le regard. Aux antipodes de la vitalité ascensionnelle souvent considérée comme positive, il donne une tonalité plus sourde, plus grave aussi en s’inclinant. C’est ainsi que Bartabas, le cavalier et fameux directeur du théâtre équestre Zingaro, nous accueille dans son livre Un geste vers le bas (Gallimard, 112 pages, 17 euros), consacré à sa rencontre et à sa relation artistique avec la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009). Il indique d’emblée une profondeur, un retournement de l’espace et du temps, un chavirage des repères. Et c’est le cas dans cette échappée nocturne délicate innervée par une écriture détaillée et fine.

Nous sommes à la fin des années 1990. Pina Bausch vient découvrir un spectacle de Bartabas à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Choc et fascination, ils plongent ensemble « dans un cercle de silence, souligne l’auteur. Je reconnais ce silence, le langage vertueux des chevaux, somptueux silence, interminable ». Dans cette bulle, dont on sent physiquement la présence au fil du livre – et c’est une des magies de l’écriture de Bartabas ici –, ces artistes aux univers esthétiques tranchés et uniques vont se donner rendez-vous lors des passages de Pina Bausch à Paris mais encore à Wuppertal, en Allemagne, où sa compagnie est implantée.

Appel à la rêverie

La nuit toujours, entre cigarettes et verres de vin rouge, le duo hante les écuries du Théâtre Zingaro. Pina Bausch, qui n’a jamais approché ni monté un cheval, apprivoise passionnément Micha Figa et inversement. Du box, où la danseuse s’accroupit et s’allonge, à la piste, leur relation, sous l’œil de Bartabas, se construit lentement, patiemment, dans une lenteur extatique. Un ballet de regards, de souffles, de formes, de courses et de galops surgit et s’évanouit. Long cou et bras interminables de l’une, encolure et pattes de l’autre se superposent. Pas de spectacle précis en perspective, même si la profession attend les « petits » des deux B, selon la formule de Jérôme Savary. Une « carte blanche » au Festival d’Avignon en 2003 qui devait, sans l’annoncer, inviter Pina ne verra jamais le jour : la manifestation sera annulée en raison de la grève des intermittents.

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Ce livre, avec ses 38 chapitres aux longueurs inégales, dont certains flirtent avec les haïkus, se révèle une extraordinaire entreprise de mémoire. Il se moque de la chronologie pour ne s’ouvrir qu’au temps de l’imaginaire, qui ne connaît aucune horloge. Il fait appel à la rêverie, à la matière obscure des nuits sans sommeil, pour arracher des éclats d’images en cours de disparition. Il trace avec des mots ces moments précieux, dont il ne reste d’ailleurs quasiment rien que quelques images dans le film de Lee Yanor Coffee with Pina et les croquis, intégrés dans l’ouvrage, de Bartabas. Ce « geste vers le bas », dont on trouve une explication à la fin pour qualifier un mouvement de Pina Bausch, ressuscite dans une intimité à fleur de peau celle qui a passé sa vie à se risquer hors de ses limites pour tester ses émotions. Entre hommage et confidence, un cadeau subtilisé à l’oubli.

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