Meilleures Actions
Histoires Web vendredi, juin 13
Bulletin

L’émotion légitime suscitée dans l’opinion par des événements dramatiques et l’utilisation politique qui peut en être faite conduisent gouvernants et opposition à se précipiter pour exprimer leur compassion avec les victimes, interpréter les faits et promettre, dans l’instant, des mesures destinées à éviter leur réitération. Ainsi, quelques heures après le meurtre, mardi 10 juin, à Nogent (Haute-Marne), de Mélanie G., 31 ans, surveillante au collège Françoise-Dolto, par un élève de l’établissement âgé de 14 ans, le président de la République et le premier ministre ont rivalisé de vigueur pour stigmatiser un « déferlement de violence insensé » pour le premier, une « vague qui progresse » selon le second, et proposer des remèdes peu convaincants comme l’interdiction de la vente d’armes blanches aux mineurs et l’expérimentation de portiques de détection.

Le constat est indéniable : longtemps rarissimes, les attaques au couteau visant des personnels d’établissements scolaires et des adolescents se sont multipliées ces dernières années, en France comme ailleurs, de même que les actes de grande violence commis par des mineurs (alors même que la délinquance de ces derniers baisse globalement). Mais la regrettable absence de statistiques sur l’usage des armes blanches, et sur la longue durée, rend difficile une analyse objective de ces tragédies. D’autant qu’à chaque drame la droite et l’extrême droite tendent à confisquer le débat en plaquant leurs thèmes de prédilection : l’immigration, les « quartiers perdus », l’« ensauvagement », la « culture de l’excuse », etc.

Or, le meurtre de Nogent déjoue tous ces clichés : banlieue difficile ? Non : collège rural. Faille de sécurité ? Non, les faits se sont déroulés sous les yeux des gendarmes. Immigration ? Rien à voir. Parents à la dérive ? Non, la famille du suspect est « unie et insérée professionnellement », a déclaré le procureur.

Cela n’empêche pas Marine Le Pen d’agiter de façon subliminale et scandaleuse la question migratoire en accusant les « barbares ». Mais le très droitier ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, se garde bien de jouer sur la même corde et reconnaît que « la réponse ne peut pas être seulement sécuritaire ».

Peu propice aux habituelles tentatives de récupération sécuritaire ou identitaire, le meurtre de Nogent devrait susciter une mobilisation politique et citoyenne sur des thèmes bien plus ambitieux et rassembleurs : la place globale et l’intégration des jeunes dans notre société, leur santé mentale, mais aussi le rôle des jeux et plateformes numériques dans la fascination pour la violence, la déconnexion d’avec la réalité et la perte des repères sur la valeur de la vie humaine.

A ce sujet, on ne saurait ignorer l’avertissement de la commission d’experts qui, dans son rapport remis en avril 2024 au président de la République, prône la fixation à 15 ans de l’âge de la « majorité numérique », autrement dit l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux avant cet âge.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Surveillante poignardée à Nogent : les questions soulevées par l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans

Plutôt que de promettre d’illusoires « solutions » prétendument immédiates à des drames en réalité bien difficiles à éviter, plutôt que d’alimenter ainsi l’idée d’une impuissance des élus, les réponses se trouvent dans une grande politique de prévention et d’éducation de tous, parents et adolescents, visant les risques de déshumanisation, d’isolement et de passage à l’acte violent qu’accroît notre monde de plus en plus numérisé, individualisé et virtuel.

Le Monde

Réutiliser ce contenu

Share.
© 2025 Mahalsa France. Tous droits réservés.