Selon les jours, l’Assemblée nationale est capable du meilleur comme du pire. Mardi 27 mai, une légitime émotion a accompagné le vote, en première lecture, de la proposition de loi Falorni instituant un droit à mourir dans la dignité. Sur un sujet aussi sensible, les députés, aussi divisés soient-ils, venaient de démontrer leur capacité à débattre longuement et sérieusement, au point que certains ont admis avoir changé d’avis en cours de discussion.
La veille, un piteux spectacle s’était déroulé dans la même enceinte à propos d’une autre proposition de loi qui n’a pourtant rien d’anodine puisqu’elle touche à la façon dont les agriculteurs exercent leur métier et aux répercussions que celle-ci peut avoir sur l’environnement et la santé.
Pour éviter d’avoir à affronter l’hostilité de la gauche sur ce texte, proposé par le sénateur LR Laurent Duplomb, en vue de lever les contraintes au métier d’agriculteur, la quasi-totalité des forces politiques membres du bloc gouvernemental ont, avec le soutien du Rassemblement national, décidé de se passer de débat. Elles ont voté, lundi, une motion de rejet ayant eu pour effet de renvoyer la discussion à une commission mixte paritaire qui se prononcera à huis clos, sans que l’Assemblée nationale ait pu consacrer une seule minute en séance publique à l’examen des huit articles.
Ce refus de débattre, dans une assemblée qui a vocation à le faire, est grave. Ni la crainte de voir resurgir le mouvement de protestation des agriculteurs, ni le désir de complaire à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui a directement inspiré la proposition de loi, n’auraient dû conduire le bloc présidentiel à imaginer cette manœuvre. Elle constitue une première et porte gravement atteinte à l’image du Parlement.
Nécessité d’une planification
Reste qu’une partie de ceux qui, à juste raison, le dénoncent n’ont rien fait pour arrondir les angles : en dépit de la tentative de conciliation menée par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, la probabilité d’une obstruction par La France insoumise et Les Ecologistes était forte.
Le résultat de cette impasse démocratique est inquiétant : on ne peut fixer à la va-vite un nouveau cadre de fonctionnement à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui empiéterait sur l’indépendance de cet établissement public chargé d’instruire et d’approuver la mise sur le marché de produits phytosanitaires. Les sénateurs qui ont voté pour une plus forte tutelle politique sur l’Anses n’avaient même pas pris le temps d’auditionner ses dirigeants.
On ne peut réintroduire, même de façon dérogatoire, les insecticides de la famille des néonicotinoïdes, dont le Parlement avait voté l’interdiction il y a quelques années, sans débattre du principe de précaution qui serait remis en cause par une telle mesure. Les distorsions de concurrence pesant sur les filières sont réelles, mais elles sont tout autant liées au droit du travail et au cadre social qu’aux règles environnementales, et peuvent être atténuées en accompagnant les alternatives.
Introduire une nouvelle catégorie de « zones humides fortement modifiées » plutôt que de les restaurer, sans réflexion sur le rôle essentiel joué par ces écosystèmes dans la régulation du cycle de l’eau, est là encore un jeu dangereux.
Le sort de cette proposition de loi, qui ne dit rien par ailleurs des problématiques de revenu agricole, de l’accès au foncier et de la crise climatique, sera désormais scellé à huis clos, sans transparence des débats. Sur des sujets aussi fondamentaux, qui nécessitent une planification de long terme, c’est un coup porté à la confiance des citoyens.