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Un peu moins d’un an après la signature d’un accord controversé entre Rome et Tirana, les premiers migrants arrêtés dans les eaux italiennes sont arrivés en Albanie. Une externalisation de la demande d’asile jamais vue en Europe.

Peu avant 8 heures, le navire Libra de la marine italienne est arrivé au port de Shëngjin, dans le nord de l’Albanie. A son bord, seize hommes originaires d’Egypte et du Bangladesh, des forces de l’ordre italiennes et des hommes en combinaison blanche. Leur voyage aura duré plus de trente-six heures.

Une quinzaine de personnes les attendaient à l’arrivée, ont pu constater des journalistes de l’Agence France-Presse, malgré l’interdiction totale d’entrer dans le port. Ils ont été escortés par la police italienne, par petits groupes, vers les portes du centre construit sur place pour les accueillir, surmontées des drapeaux italien et européen.

A quelques mètres de là, à l’entrée du port, une poignée de militants ont manifesté en déroulant une banderole sur laquelle on pouvait lire « Le rêve européen s’arrête ici », ainsi que des photos de la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, et de son homologue, Edi Rama, grimés en policiers.

Les seize hommes doivent être enregistrés, et leur identité, vérifiée, dans le premier centre créé par les Italiens en Albanie : des préfabriqués installés sur le port, entourés de hautes grilles et gardés par les forces de l’ordre italiennes. Ils seront ensuite emmenés, vingt kilomètres plus loin, dans le camp de Gjadër, qui pourra accueillir jusqu’à 880 personnes simultanément.

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Là, installés dans des préfabriqués de 12 mètres carrés également entourés de hauts murs, et surveillés par des caméras et des membres des forces de l’ordre italiennes, ils pourront déposer leur demande d’asile : dix écrans géants ont été installés dans un tribunal à Rome pour permettre aux juges de superviser les audiences. Les demandeurs communiqueront avec leurs avocats par visioconférence.

Les demandes d’asile doivent être approuvées ou rejetées dans un délai de vingt-huit jours – les personnes qui attendront encore une décision après ce délai seront envoyées en Italie. Mais ce laps de temps paraît difficile à tenir au regard de la lenteur des procédures administratives italiennes.

Un bâtiment de 144 places sera destiné à ceux dont la demande aura été refusée et qui risquent un rapatriement. Une prison construite sur place pourra accueillir jusqu’à vingt personnes. La construction des deux centres a coûté 65 millions d’euros à l’Italie, le double du budget prévu. A partir de 2025, le coût de l’accord pour l’Italie est estimé à 160 millions d’euros par an.

Ces millions « auraient pu être utilisés pour la santé publique afin de diminuer les listes d’attente, alors qu’on les jette par la fenêtre pour déporter des migrants en piétinant leurs droits », a fustigé mercredi matin, dans un entretien au Corriere della Sera, Elly Schlein, cheffe du Parti démocrate, le principal parti d’opposition.

Un accord conspué par des ONG

Cette externalisation de la demande d’asile, une première en Europe, a été rendue possible par un accord controversé signé en novembre 2023 entre la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni (extrême droite), et le premier ministre albanais, Edi Rama (socialiste), au nom des longues relations qui unissent les deux pays. Il concerne uniquement les hommes adultes interceptés par la marine ou les garde-côtes italiens dans leur zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales.

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Saluant mardi un « accord courageux », Giorgia Meloni s’est aussi dite « fière que l’Italie soit devenue de ce point de vue un exemple à suivre » – évoquant l’intérêt des gouvernements français, allemand, suédois ou britannique sur la politique italienne de gestion des flux migratoires.

L’accord a été conspué par de nombreuses ONG de défense des droits humains qui y voient une violation des règles internationales. « L’accord Italie-Albanie viole le droit maritime international et risque d’éroder encore davantage les droits fondamentaux des réfugiés », a écrit mardi l’ONG SOS Humanity, estimant que « l’Italie détient de facto des personnes en quête de protection sur le territoire albanais sans examen judiciaire, ce qui est profondément inhumain et viole leurs droits fondamentaux (…). Cet accord est une nouvelle stratégie d’un Etat membre de l’Union européenne [UE] visant à externaliser la gestion des migrations et à se décharger ainsi de sa responsabilité en matière de droits humains des réfugiés ».

En début de semaine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a mentionné, dans une lettre aux Etats membres de l’UE, une proposition inflammable de transferts de migrants dans des centres d’accueil de pays tiers, des « hubs de retour », appelant à tirer les « leçons » de l’accord Italie-Albanie.

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Le Monde avec AFP

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