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CINÉ+ CLUB – JEUDI 27 JUIN À 20 H 50 – FILM

Dans le paysage des vaudevilles du cinéma français, plein à craquer de querelles amoureuses et communautaires, Céline Devaux prend la tangente en proposant une comédie de la dépression. Elle ravive avec une foi étincelante l’art cinématographique du duo, ici celui d’une carriériste défaite et d’un hurluberlu insouciant au cœur grenadine et aux lunettes de pin-up.

Patronne d’une start-up, Jeanne (Blanche Gardin), ingénieure d’une quarantaine d’années, est sur le point de lancer son projet Nausicaa, censé nettoyer les océans et sauver le monde. Elle en est convaincue : comme Marie Curie, elle est la femme du siècle.

Le jour du lancement, rien ne se passe comme prévu… Sa colonne submersible, dévoreuse de déchets, se désintègre quelques secondes après sa mise à l’eau. En un réflexe pavlovien, Jeanne plonge et nage quelques brasses vers le désastre. La vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Pas évident de maintenir à flot la barque d’un conte de fées.

Source intarissable de drôlerie

Venue du dessin animé, la réalisatrice injecte, dans son premier long-métrage en prises de vues réelles, de courtes séquences crayonnées qui décrivent aux petits oignons la tension névrotique de Jeanne, bien décidée à éviter tout progrès notable pour sortir de son état.

Des fantômes chevelus entrent par effraction dans ses pensées pour tourner en dérision les grandes questions existentielles des magazines féminins qui la hantent : comment stimuler son estime de soi, être une bonne personne et stopper l’autosabotage… Le décalage entre ces petits êtres cruels et grossiers qui se trémoussent en montrant leurs fesses et le stoïcisme apparent de Jeanne se révèle une source intarissable de drôlerie. Le choix, légèrement sadique, de la réalisatrice de prêter sa voix gouailleuse à ces turbulents Jiminy Cricket décuple le cauchemar de l’héroïne et notre plaisir avec.

Vient la rencontre fortuite avec Jean (Laurent Lafitte), un ancien camarade de classe. D’emblée, Jeanne déteste sa nonchalance, sa légèreté, sa spontanéité, qui ne font que renforcer, en comparaison, sa défaite morose.

Alors qu’elle est à elle toute seule un plan fixe recroquevillé sur lui-même, sans profondeur ni vue – Jeanne à la table de la cuisine ; Jeanne sur le canapé du salon ; Jeanne avachie –, Jean est mobile, ouvre des portes, visite l’appartement de son amie, se balade, suscite le travelling, fait diversion. Il dit ce qu’il pense, ment avec bonhomie, ne veut pas travailler, profite des meilleurs moments. Il est aussi le seul homme sur terre à ne pas avoir entendu parler, ou si peu, de l’énorme ratage de Jeanne, lui offrant la possibilité de devenir n’importe qui sur le chemin plus reposant de l’anonymat.

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Cette option ludique, qui s’exempte des règles strictes du personnage secondaire type, donne tout son charme et sa décontraction au film dans une liberté de ton et de style qui procure l’euphorie. A la place du psychologue, auprès duquel nombre de nos héroïnes se délestent de leurs gâchis et catastrophes, Céline Devaux choisit Jean et privilégie la force de la diversion dans une mise en scène dans son ensemble pleine de finesse et d’à-propos.

Tout le monde aime Jeanne, film de Céline Devaux (Fr., 2022, 95 min). Avec Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual.

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