« The Last Town. Une ville contre la Silicon Valley », sur Arte : western au pays des Gafam

ARTE – JEUDI 27 FÉVRIER À 23 H 35 – SÉRIE DOCUMENTAIRE

« On a vraiment l’impression d’être sous occupation. » Le dénommé JT, militant au sein de l’organisation non gouvernementale Hood Squad, qui distribue de la nourriture aux plus démunis, connaît la puissance guerrière de ce mot qu’il martèle à plusieurs reprises. Un autre dégaine, à son tour, un mot définitif : « Amazon nous traite comme une colonie. »

Occupation, colonisation… « Il y a ici comme un air de western… Difficile d’imaginer que nous sommes dans une des régions les plus riches du monde », commente Fabien Benoit dès les premières images de son documentaire The Last Town. Une ville contre la Silicon Valley.

Ce journaliste français, coauteur de l’essai Techno-luttes. Enquête sur ceux qui résistent à la technologie (Seuil, 2022), a arpenté la Silicon Valley en pleine pandémie de Covid-19 pour documenter l’autre virus qui sévit sur ces terres du nord de la Californie : la gentrification. Le terme rime bien avec occupation…

La remise à l’antenne par Arte de cette minisérie de 2022 tombe à point nommé à l’heure du trumpisme triomphant, dont les seigneurs de la tech − Elon Musk, Peter Thiel, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg… − ont des allures de grands féodaux. D’oligarques, dirait-on aujourd’hui.

Au fil de la montée en puissance de ses start-up, la Silicon Valley s’étend tous azimuts. Ses cadres bien payés déferlent sur les faubourgs urbains qui font la liaison entre San Francisco et San Jose, en quête de terrains bon marché pour se loger à proximité de leurs bureaux. La flambée des prix conséquente a été aggravée par le confinement imposé par le Covid-19. « Il faut regarder les choses en face : la pandémie a enrichi les riches, alors que les pauvres se meurent », constatait, dans Le Monde en février 2021, Russell Hancock, le directeur du centre d’études Joint Venture Silicon Valley.

Esprit militant

Mais voilà, les « pauvres » d’East Palo Alto n’entendent pas se laisser mourir. Leur petite ville ouvrière, à mi-chemin entre le campus de Stanford et le siège de Facebook, n’est pas une banlieue comme une autre. Elle fut naguère l’une des places fortes de la lutte pour les droits civiques. Et demeure imprégnée de l’esprit militant des grands anciens. Les Afro-Américains et Hispaniques qui la peuplent en grande partie ne se vivent pas en « oubliés du miracle numérique », mais en résistants à ce prétendu « miracle » promis par la Big Tech.

Entre deux séances du conseil municipal et de distribution de tracts sur les marchés, Fabien Benoit nous emmène notamment à la rencontre d’un trio emblématique : Laura, une femme de ménage sans papiers, Ofelia, membre d’un collectif de jeunes résidents, et Antonio, étudiant à Stanford issu d’un milieu modeste et élu au conseil municipal. Ils sont mobilisés contre ce qu’ils appellent eux aussi la « colonisation [par le capitalisme] ». En ligne de mire, une marque elle aussi emblématique : Amazon, qui s’est affranchie d’un arrêté municipal obligeant toute nouvelle entreprise à recruter un tiers de ses effectifs sur place.

Les titres des trois épisodes du documentaire disent tout : « Une ville assiégée » (ép. 1) ; « Les Sirènes de la tech » (ép. 2) ; « Le Dernier Bastion » (ép. 3). « Ce qui se joue ici, c’est un nouvel épisode de la ruée vers l’or », résume le réalisateur. D’où le titre de son opus : The Last Town… Vous avez dit western ?