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Un entretien bilatéral de moins de trois heures, suivi d’une conférence de presse commune d’une douzaine de minutes dépourvue d’annonce : la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, vendredi 15 août, comportait encore, samedi matin, de nombreuses inconnues. C’est à l’heure des premières réactions des dirigeants européens et de Volodymyr Zelensky que Sylvie Kauffmann, éditorialiste au Monde, a échangé avec nos lecteurs dans le cadre de notre direct sur la guerre en Ukraine.

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Pierre : La diplomatie est parfois un théâtre, chacun cherchant à tirer profit d’un succès et accuser en cas d’échec. Trump nous avait habitué à rompre avec les usages. Aujourd’hui il est acteur d’un schéma classique. N’est ce pas déjà un indice sur l’échec de ce sommet ?

Sylvie Kauffmann : Parler d’échec du sommet dépend de ce que l’on en attendait. Si l’on attendait un engagement de Vladimir Poutine en vue d’un cessez-le-feu sérieux, oui, l’échec est patent. Mais je ne crois pas que cette attente était raisonnable. De ce que l’on sait à ce stade, il n’y a ni succès ni échec, puisque aucun résultat n’a été annoncé. Il faudra juger en fonction des réactions des Européens, pour l’instant très prudentes, et de la rencontre Trump-Zelensky lundi.

Il y a cependant un gros risque, que connaissent bien les Européens : pour gagner du temps, Vladimir Poutine peut faire semblant d’être prêt à négocier et s’engager dans des pourparlers interminables qui n’aboutiront jamais, pendant lesquels son armée continue de gagner du terrain et de bombarder l’Ukraine. C’est en gros la tactique qu’il avait mise en œuvre après l’annexion de la Crimée et la première invasion de l’Ukraine, en 2014, dans le cadre des discussions de Minsk avec la France, l’Allemagne et l’Ukraine.

Et si on discutait : Quelle lecture faut-il avoir de l’accueil du président Poutine à la descente de son avion, entre tapis rouge, applaudissement, et démonstration de la force militaires avec les avions américains en fond ?

S.K. : Donald Trump est fasciné par le personnage Poutine, il s’entend généralement bien avec les « hommes forts », mais le leader de la Russie l’intéresse particulièrement. Il l’appelle par son prénom, Vladimir, ce qu’il ne fait jamais avec Volodymyr Zelensky, le président ukrainien. Toute cette mise en scène, sur une base militaire américaine, visait à la fois à montrer à Vladimir Poutine la puissance américaine et à le traiter en dirigeant d’une autre grande puissance, digne de tous ces égards. Ce traitement est d’autant plus ironique que Vladimir Poutine est non seulement l’agresseur d’un pays indépendant, en violation du droit international, mais aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre.

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Dodochampion : Côté Russe, est ce que ce sommet avait d’autres ambitions que de permettre une relance du commerce à l’international de la Russie ?

S.K. : L’objectif de Vladimir Poutine dans ce sommet était d’abord de gagner en respectabilité, et ensuite de gagner du temps. Sur ces deux plans, il a gagné : l’accueil du président des Etats-Unis sur le territoire américain, en grande pompe, le réhabilite sur la scène internationale, alors qu’il est paria en Europe. Et en engageant ce dialogue avec Donald Trump, il fait sauter les ultimatums et la menace de nouvelles sanctions contre la Russie – du moins pour l’instant : Donald Trump a dit sur Fox News que la question des sanctions ne se posait plus pour deux ou trois semaines. C’est important pour M. Poutine, car l’économie russe montre de sérieux signes de faiblesse. Et pendant ce temps il peut continuer à bombarder l’Ukraine et poursuivre son offensive dans l’est du pays.

En revanche, Vladimir Poutine n’a pas réussi à transformer cette rencontre en grand sommet russo-américain sur les relations économiques et commerciales ni sur un dialogue stratégique à propos du contrôle des armements.

Nice : Les déclarations de D. Trump et V. Poutine, vides de contenu, laissent à penser qu’aucune avancée n’est à signaler. Du côté des Etats-Unis, ne devraient-elles pas mener à un scénario à la nord-coréenne, à savoir un désintérêt des Etats-Unis pour cette question (dont les Européens pourront s’occuper) ?

S.K. : Oui, c’est possible. Plusieurs experts américains font le rapprochement avec la rencontre Trump-Kim Jong-un en 2018, au cours de laquelle Trump s’était énormément investi (à cette différence près qu’il avait aussi voulu inviter Kim à monter avec lui dans The Beast, la limousine présidentielle, mais qu’à l’époque ses conseillers l’avaient convaincu d’y renoncer, ce qui n’a pas été le cas avec Vladimir Poutine…), puis il s’était désintéressé de la question nord-coréenne quand il a vu que cela n’avançait pas.

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Si Donald Trump décide de se désintéresser de la question ukrainienne, ce sera aux Européens de s’en occuper seuls. La question qui se posera alors est de savoir sur quelle aide militaire américaine ils pourront encore compter, notamment dans le domaine du renseignement et de la reconnaissance satellitaire. Mais ils savent aujourd’hui que sous Donald Trump, les Etats-Unis vont se désengager de l’Europe. Et le vice-président, J. D. Vance, a dit clairement la semaine dernière que les Etats-Unis ne financeraient plus la défense de l’Ukraine. Donc la dynamique est claire.

Patrick : Est-ce vous ne trouvez pas que l’attitude de Trump met les Etats-Unis en position de faiblesse ? Il est évident que Trump a peur de Poutine, ce qui met ce dernier en position de force avec une conséquence prévisible de déstabiliser l’occident au profit de la Russie. Quelles sont les cartes que l’Occident va jouer pour garantir sa survie et celle de l’Ukraine ?

S.K. : Vous soulevez un point crucial, mais d’abord, parler d’« Occident », c’est poser la question de l’existence de ce concept avec Donald Trump. Il est clair que le sort de l’Ukraine n’a pas le même sens ni la même importance pour l’équipe aujourd’hui au pouvoir à Washington et pour les Européens, du moins la grande majorité d’entre eux. Pour l’Europe, la survie de l’Ukraine comme Etat souverain et indépendant est existentielle, mais elle ne l’est pas pour l’Amérique de Donald Trump. Oui, le président américain est impressionné par Vladimir Poutine, et cela peut nous apparaître comme une faiblesse, mais lui voit ce dernier comme un dirigeant « fort » à la tête d’une autre grande puissance qui, accessoirement, a « beaucoup de terre, beaucoup de terres rares et de pétrole » et avec lequel il peut s’entendre faire de « grandes choses », comme il dit.

Les cartes que les Européens peuvent jouer sont celles de l’unité et de la fermeté, notamment en matière de défense, un domaine dans lequel ils ont beaucoup de retard à rattraper, ce qu’ils ont commencé à faire. Cela demande un gros effort politique…

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Le Monde

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