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Histoires Web vendredi, octobre 18
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L’automobiliste n’en croit pas ses yeux. « Jivoï ? » (« t’es vivant ? »). Sorti du couvert des arbres qui sépare la quatre-voies menant à la petite ville russe de Soudja, dans la région de Koursk, une silhouette titubante vient se planter devant son pare-brise. Malgré le crépuscule qui masque en partie ses traits, l’homme, vêtu comme un militaire russe, paraît grièvement blessé. Il a le visage et les mains en sang.

De l’autre côté des arbres, la caméra GoPro du conducteur capte une boule de feu. Ce 7 août, les forces ukrainiennes, lancées depuis vingt-quatre heures dans une offensive d’ampleur sur le territoire russe, ont visé à l’aide d’un drone la voiture d’Evgueni Poddoubny, l’un des animateurs bien connus en Russie d’une chaîne Telegram proguerre. Un mois et demi plus tard, le 26 septembre, Vladimir Poutine décerne au rescapé le titre de Héros de la Fédération de Russie, la plus haute distinction, la première, surtout, de ce niveau jamais accordée à un voenkor, un correspondant de guerre.

Comme Evgueni Poddoubny, ils sont des milliers, « journalistes », militaires, « experts » et passionnés, à avoir créé sur Telegram un espace entièrement consacré au conflit. On les appelle les « chaînes Z », une lettre à laquelle ils se réfèrent constamment : peinte sur les chars russes fonçant sur Kiev, le 24 février 2022, elle est devenue le symbole de l’invasion de l’Ukraine. Depuis, le nombre de ces chaînes a explosé, au point qu’il est impossible de toutes les recenser. Nées à l’origine dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine, au début de la guerre, en 2014, et financées, selon leurs dires, par des dons et la publicité, elles ont acquis, dix ans plus tard, une incroyable visibilité.

Capture d’écran de la chaîne « Operatsia Z : Voenkori Rousskoï Viesny » : « Nos soldats prennent pied dans la ville de Vouhledar et continuent de repousser l’ennemi de plus en plus loin », le 6 octobre 2024.

Les plus connues dépassent allègrement le million d’abonnés, comme « Mir Sevodnia – c Iouri Podoliaka » (« le monde aujourd’hui avec Iouri Podoliaka », plus de 3 millions d’abonnés), « Operatsiia Z : Voenkory Rousskoï Vesny » (« opération Z : correspondants militaires du printemps russe », plus de 1,6 million), « Rybar » (« le pêcheur », plus de 1,3 million), « Dva Maiora » (« deux majors ») et « War Gonzo » (plus de 1 million chacune)…

L’écosystème des « turbopatriotes »

Toutes racontent la guerre au quotidien, établissent des cartes du front, publient des vidéos sur les combats, relatent le moindre événement du côté de l’« ennemi », se gaussent de ses échecs. Sous le titre « Traquer et détruire », la chaîne BTR80 (« combattez, frères ! », 149 000 abonnés) publiait ainsi, le 7 octobre, l’image de drones FPV détruisant, comme le précisait le commentaire, un Bradley, un « véhicule américain de combat d’infanterie nazie », dans la région de Pokrovsk, une ville ukrainienne sous le feu des forces russes toutes proches. Un pilote de chasse, « Fighterbomber » (530 000 abonnés), s’est même fait une spécialité de filmer, de son cockpit, le largage de ses bombes sur le territoire ukrainien.

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