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FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST

Décrocher le téléphone. Accepter un début contrarié (une mauvaise connexion). Quand soudain : la magie de sa voix. Celle de Clara Ysé, si lumineuse et si grave, si sensée et si sensible aussi. Celle que l’on sait magnétique depuis Le monde s’est dédoublé (son premier EP autoproduit en 2018) et son premier album, Oceano Nox (2023, Tôt ou Tard). Depuis qu’on la lit, aussi (Mise à feu, Grasset, 2021) et qu’elle a réussi à se laisser convaincre par son éditrice en musique, Mélissa Phulpin, pour que soient publiés ses poèmes (Vivante, Seghers, 208 pages, 17 euros). On découvrait alors la place que tient la poésie dans sa vie. Ou plutôt les places car avec Clara Ysé rien n’est tout à fait noir ou blanc, rien n’est tout à fait simple bien que ce soit limpide, rien n’est vraiment complexe mais plus densément riche.

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C’est donc une belle idée qu’a eue la direction de France Culture de la solliciter pour lui proposer d’inaugurer « L’Instant poésie », bulle poétique de quelque cinq à six minutes diffusée du lundi au vendredi à 21 h 30 et alors que la chaîne avait décidé en juin de supprimer « Poésie et ainsi de suite », l’émission hebdomadaire de Manou Farine. Une décision qui avait suscité colère et tristesse de la part de nombre d’auteurs (Jacques Roubaud, Alain Veinstein, Yannick Haenel ou encore Pierre Michon).

Pensée en mouvement

Disons aujourd’hui ce que cet « Instant poésie » (chaque mois, un ou une « passeur » présentera une vingtaine de poèmes de son choix qui seront lus par des comédiens) augure de bon et de beau tant Clara Ysé a su partager son goût pour le genre. Approchée avant l’été, la jeune femme a tout de suite accepté la proposition de la chaîne. Même si, tournée oblige, elle a prévenu qu’elle ne serait pas en mesure d’envoyer ses textes en amont. Que ce serait donc, et complètement, improvisé. Sur le fil pourrait-on dire, ce qui, et in fine, est merveilleux puisque cela permet d’entendre sa pensée en mouvement, dans ce qu’elle a de direct, de puissant et de fragile aussi.

Les vingt épisodes ont donc été enregistrés « en une seule journée, en studio, quatre heures d’affilée ». Vingt capsules sonores, vingt choix de cœur, d’auteurs qui l’ont « chamboulée » : Ingeborg Bachmann, Anna Akhmatova, Marina Tsvetaeva, ou encore Constantin Cavafis et son En attendant les barbares − un choix qui s’est imposé comme un écho, dit-elle, « à ce qui se passe politiquement aujourd’hui ». Et il faut ici saluer la proposition du réalisateur Cédric Aussir de le faire entendre (dans la traduction de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras) par le comédien Polydoros Vogiatzis : « Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora ?/ On dit que les barbares seront là aujourd’hui./ Pourquoi cette léthargie, au Sénat ?/ Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?/ Parce que les barbares seront là aujourd’hui. »

Processus d’écriture

Pour elle, loin des discours politiques et des slogans publicitaires qui vident les mots de leur sens, « la poésie sauve la langue des trahisons et des mensonges, et redonne un poids actif aux mots ». Et il faut l’entendre parler d’Argumentum e silentio, que Paul Celan adressa à René Char. Et comment, déchiré dit-elle, le poète tentera de sauver la langue détruite en lui par la guerre et les nazis qui ont assassiné ses parents : « A chacun sa parole,/ la parole qui pour lui se fit chant/ quand la meute l’attaqua, sournoise ;/ à chacun la parole/ qui avant d’être glace/ fut chant » (traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre).

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Langue et terre refuges, la poésie − et, en cela, comme la musique, précise-t-elle − permet de « creuser les silences, de rencontrer les contradictions qui nous habitent ». Revient alors à notre mémoire sa chanson, Douce, qui, et dans un même mouvement, attrapait et la tristesse et la joie. Choisir et parler de ses propres poèmes fut plus compliqué, confie-t-elle, mais intéressant parce que ce fut l’occasion de questionner le processus d’écriture : « On croit qu’on écrit pour que les choses restent alors que c’est une façon de les sortir de soi et de nous autoriser à oublier. Je crois que l’écriture a cette force-là, de nous libérer. »

A l’écouter parler aussi essentiellement et existentiellement de poésie, à écouter sa voix si pleine, et si pleine de doutes, de trous et de silences aussi, à entendre son souffle, si incroyablement près, et dans toute sa violente douceur, on mesure le cadeau qu’elle nous fait aujourd’hui.

L’Instant poésie de Clara Ysé, de Clara Ysé, réalisé par Cédric Aussir (2024, 20 × 6 min). Du lundi au vendredi à 21 h 30 sur France Culture et réécoutable en podcast sur toutes les plates-formes d’écoute habituelles.

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