Du temps de sa splendeur à la tête de Stellantis, Carlos Tavares répétait à l’envi que le secteur automobile était entré dans une ère « darwinienne » dans laquelle ne subsisterait qu’une poignée de constructeurs capables de s’adapter à la révolution du véhicule électrique. La sélection naturelle a fini par rattraper le patron. Dimanche 1er décembre, sous la pression du conseil d’administration, il a démissionné de façon précipitée de la direction du groupe franco-italo-américain.
Réputé pour son management sans concession et ses méthodes expéditives, voire brutales, Carlos Tavares subit finalement le sort qu’il a réservé ces dernières années à des dizaines de cadres dirigeants de son groupe jugés insuffisamment performants. Focalisé sur la rentabilité jusqu’à l’obsession, le patron a hissé le groupe à des sommets. Plus dure sera la chute.
Après deux années exceptionnelles, la situation financière du constructeur automobile s’est subitement dégradée. A force de tirer les marges vers le haut, les prix pratiqués par le groupe ont fini par faire caler les clients potentiels. Les parts de marché se sont mises à baisser, les stocks ont gonflé, mettant la trésorerie du groupe à rude épreuve. L’erreur aura été de vouloir maintenir à tous crins une rentabilité exceptionnelle, qui ne pouvait pas durer sans fragiliser la stabilité de l’entreprise. Par ego, le patron s’est enferré dans une fuite en avant en fixant des objectifs intenables.
Carlos Tavares se présentait volontiers comme un dirigeant étant dans le contrôle total de son entreprise. Il s’est laissé malgré tout surprendre par une crise qu’il a mal anticipée. Pourtant, jusque-là, il avait su surmonter les difficultés. Le redressement de PSA Peugeot Citroën à partir de 2014, puis celui d’Opel, racheté en 2017 à General Motors, avant de mener à bien en 2021 une fusion à 50 milliards de dollars (47,5 milliards d’euros) avec l’italien Fiat et l’américain Chrysler. Mais Stellantis et ses quatorze marques automobiles sont devenus un paquebot qui s’est révélé de plus en plus difficilement manœuvrable. Son départ interroge surtout son management, caractérisé par la centralisation excessive du pouvoir sans un minimum de contre-pouvoirs opérationnels.
Sentiment de toute-puissance
Il peut lui être reproché aussi la nomination d’une directrice financière peu chevronnée, Natalie Knight, qui n’a pas su jouer son rôle de vigie. Enfin, la mise à l’écart d’une bonne partie du management américain de Chrysler a contribué à entretenir un climat de défiance au sein de la filiale la plus rentable.
Habité par un sentiment de toute-puissance, Carlos Tavares s’est mis à dos toutes les parties prenantes de l’entreprise : concessionnaires, fournisseurs, importateurs, syndicats et gouvernements. Une entreprise ne peut pas être uniquement un centre de profits. Elle doit aussi fonctionner en bonne intelligence avec son écosystème.
Tant que les résultats étaient au rendez-vous, le conseil d’administration a laissé faire. Mais lorsqu’un patron est payé plusieurs dizaines de millions d’euros par an, les erreurs ne pardonnent pas. La corde de rappel tirée à l’initiative de John Elkann, l’héritier de la famille Agnelli, président et premier actionnaire de Stellantis, intervient de façon soudaine, sans même avoir pris le temps de lui trouver un successeur. Il prend le risque d’ouvrir une période d’incertitude au moment où le secteur traverse une grave crise. La difficulté est d’autant plus grande qu’il ne s’agit pas seulement de trouver un nouveau patron, mais de changer une structure de management que M. Tavares a façonnée pour le meilleur mais aussi pour le pire.