En ces temps d’inertie gouvernementale et de tumulte parlementaire, alors qu’anathèmes et postures l’emportent sur le dialogue constructif, le débat sur la fin de vie, qui doit donner lieu, mardi 27 mai, à un double vote solennel à l’Assemblée nationale, tient presque du miracle. Sur la forme d’abord puisque le sujet, défriché par une convention citoyenne en 2022-2023, a abouti à deux propositions de loi, l’une sur les soins palliatifs, l’autre relative au « droit à l’aide à mourir », sujets à la fois intimes et universels.
Les députés, souvent prompts à mettre en scène leurs clivages, ont organisé un débat de haute tenue, parvenant à progresser en s’écoutant. Ni la dissolution de juin 2024 ni les réticences du premier ministre sur le second texte n’ont pu entraver l’examen de textes susceptibles de faire progresser la société française sur une question entourée de crainte et de tabou, longtemps accaparée par les religions : la mort.
Les avancées que rendent possibles ces propositions de loi répondent à des préoccupations fondamentales de chacun – la peur de la souffrance et de la solitude au moment de la mort, la liberté de choisir sa fin de vie –, tout en cherchant à préserver un impératif collectif, la protection des plus vulnérables. S’agissant de dépénaliser, dans des circonstances exceptionnelles, les actes transgressifs que sont le suicide assisté et l’euthanasie, le texte sur le droit à l’aide à mourir emprunte la « voie pour une application éthique » de ce droit identifiée en 2022 par le Comité consultatif national d’éthique sous réserve de « conditions strictes ». Celles-ci, au nombre de cinq, ont été détaillées au fil des débats.
Besoin d’une égalité réelle d’accès aux soins
Ainsi a été précisée, en référence à la « qualité de la vie » et non à sa durée, imprévisible, la situation du malade auquel le nouveau droit serait ouvert. L’exigence d’une délibération « collégiale » avant la décision d’ouvrir ce droit, celle d’un délai de réflexion de deux jours et celle d’une demande explicite, libre et éclairée, du malade, paraissent refléter l’équilibre indispensable entre exercice d’une liberté individuelle et prévention des dérives possibles.
Celles-ci verraient des pressions économiques, sociales, familiales ou le défaut de soins palliatifs peser sur la décision. Seule une égalité réelle d’accès aux soins médicaux, actuellement en péril, et en particulier la possibilité pour chacun de recourir aux soins palliatifs, aujourd’hui scandaleusement réservée à une minorité, mais promise dans l’un des deux textes voté mardi, peut répondre à ces légitimes préoccupations.
Sous ces conditions impératives, et sous réserve d’une évaluation régulière de leur mise en œuvre, ces textes doivent pouvoir alléger le fardeau de chacun face à l’inéluctabilité de la mort : la garantie, pour l’immense majorité de la population, d’une fin de vie entourée et apaisée, où tous les moyens seront mis en œuvre pour éviter les souffrances physiques et psychiques ; et le droit individuel – qui n’oblige personne – d’exercer une « ultime liberté » en choisissant de mettre fin à ses jours dans des circonstances et sous des conditions précisément limitées.
Outre ces avancées réconfortantes, un vote définitif des deux textes – dont l’examen doit se poursuivre au Sénat – apporterait une bonne nouvelle : la France peut avancer sur un sujet de société sensible sans nécessairement s’enflammer du fait de son instrumentalisation politique, ni rester bloquée par ses divisions partisanes.