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Mardi 3 juin, à l’Institut catholique missionnaire d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, une trentaine d’hommes et de femmes – dont une proportion écrasante de jeunes séminaristes – sont venus travailler sur des questions que l’Eglise catholique a longtemps éludées. Comment repérer les victimes de violences physiques ou sexuelles parmi les paroissiens ? Comment faire face à une agression ? Mais aussi, question encore plus délicate : comment ne pas devenir soi-même un agresseur ?

« Si tu es un jeune vicaire et que tu ne sais pas te retenir devant une fille, alors il faut travailler sur toi », prévient sœur Solange Sia, directrice du Centre de formation pour la prévention des abus sur les mineurs et les personnes vulnérables (CFPAM-PV). « En attendant, évite de te retrouver seul avec elle », poursuit l’enseignante en théologie, provoquant quelques rires gênés dans la salle de classe.

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Installé au sein de l’institut, le centre dispense deux fois par an, depuis 2018, des enseignements à destination de religieux et de laïcs en contact avec des enfants et des personnes en difficulté. Les participants viennent chercher une formation certifiante, mais surtout des outils pratiques pour faire face aux potentiels cas de violences.

Dans l’assistance, un jeune prêtre rapporte son incapacité à soulager psychologiquement une victime d’inceste. Une nonne, qui requiert l’anonymat, veut comprendre les ressorts de la vague de scandales pédocriminels qui secouent le monde catholique. « J’ai vu des documentaires sur le sujet, mais je voudrais aller plus loin. J’ai besoin de comprendre », dit-elle.

« Y a-t-il des frères Bétharram parmi nous ? »

A travers cette initiative inédite en Afrique de l’Ouest, l’institut tente d’accompagner la libération de la parole au sein des milieux catholiques ivoiriens. En huit ans, « entre 600 et 800 personnes » ont été formées, dont une majorité de prêtres, évalue le recteur Nicodème Kolani. « Après l’appel du pape François à lutter contre les abus sexuels, nous avons compris qu’il fallait prendre la question au sérieux, affirme-t-il. C’est un enjeu de crédibilité pour l’Eglise. Il nous fallait donc former des prêtres missionnaires fidèles à notre vocation d’ouverture sur le monde et nous emparer du sujet. »

Dans la salle de classe située face à un jardin luxuriant, les participants apprennent à devenir des « capteurs » au sein de leur environnement. Durant toute la semaine, ils échangent avec les acteurs de la chaîne de prise en charge des victimes de violences : criminologues, psychologues, commissaires de police. L’objectif est d’apprendre à détecter les signaux de maltraitances, mais aussi les prédateurs potentiels. « En sortant de cette formation, les participants doivent pouvoir démasquer des abuseurs potentiels et repérer les changements de comportements inquiétants chez les enfants notamment », souligne M. Kolani.

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Aborder les violences commises au sein de l’Eglise et révélées dans la presse ces dernières années reste toutefois difficile. Alors que deux Ivoiriens ont récemment confié au Monde avoir été agressés durant les années 1990 par le père Benat Segur, l’ancien directeur de Notre-Dame de Bétharram, lorsque celui-ci était installé en Côte d’Ivoire, l’affaire suscite un certain embarras parmi les participants à la formation.

« Y a-t-il des frères Bétharram parmi nous ? », tente sœur Solange Sia afin d’ouvrir une discussion. Après un long silence, une main se lève. Se présentant comme d’« une autre génération » que celle des victimes présumées du père Segur, un séminariste assure que l’affaire n’est pas discutée au sein de la congrégation installée à la lisière d’Abidjan. Elle ne le sera pas non plus au sein de cette journée de formation.

« Tout le monde est beau en soutane ! »

Conscient de l’ampleur de la tâche pour que se fissure le mur du silence, l’institut catholique met surtout en avant sa volonté de prévenir les abus parmi ses futurs prêtres en les plaçant face à des cas pratiques. « Des adolescentes peuvent venir vous dire qu’elles sont amoureuses de vous, ça ne doit pas vous servir de prétexte. Ce n’est pas parce que vous êtes beaux, c’est parce que vous êtes prêtres ! Tout le monde est beau en soutane ! », met en garde Mme Sia. En psychologie, précise-t-elle, ce phénomène est appelé « confusion des langages. C’est la même chose avec les enfants. Un petit peut venir vous faire un câlin parce que vous représentez pour lui une figure paternelle, un grand frère ou un tuteur. Pas parce qu’il veut une intimité sexuelle ».

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Le centre forme également des agents de police, des encadreurs d’équipes sportives, des cellules relais à l’écoute des victimes à travers le pays. Par ricochet, « près de 25 000 personnes ont pu être sensibilisées aux violences sexuelles », estime le recteur M. Kolani.

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Dans un pays où le poids des religieux de toutes confessions demeure prégnant, l’accent est aussi mis sur d’autres formes d’abus, qu’ils soient d’autorité ou à caractère financier. Ces dernières années, la Côte d’Ivoire a été secouée par plusieurs scandales mettant en cause des pasteurs et des prêtres catholiques.

« Les prêtres que nous formons seront en contact avec des enfants, des femmes, des personnes âgées vulnérables. On leur montre comment ces violences brisent la vie des victimes. Et, surtout, on les avertit des conséquences juridiques et canoniques encourues par les agresseurs », conclut le recteur Kolani, conscient de l’urgence de la mission. Selon une enquête du ministère de la famille parue en 2020, une femme sur cinq et un homme sur neuf ont subi des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans.

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