ARTE.TV – À LA DEMANDE – CONCERT
Il y a un peu de tout dans le programme du Piano Day d’Arte, enregistré en mars 2023 à l’Opéra-Comique, à Paris : du synthétiseur Casio, du piano jazz, de la chanson contemporaine, du rap… Cela s’adresse à un public jeune, à la page ou curieux, et pour ce faire, la Salle Favart a cassé le sacro-saint rapport scène-salle, invitant le public à entourer les musiciens en divers espaces du bâtiment.
Au sein de ces quelque quatre-vingts minutes de musique, on trouve une pépite : un programme de la pianiste Shani Diluka, née en 1976 à Monaco de parents sri-lankais, qui met en regard des pages de Bach, le père – avec le Solfeggio du fils, Carl Philipp Emanuel –, et des pièces de compositeurs d’essence minimaliste.
Avec, au premier chef, Philip Glass, l’un des piliers principaux de ce mouvement esthétique né aux Etats-Unis, et en particulier à New York, au cours des années 1960, dans les quartiers des galeries et lofts downtown où se croisaient plasticiens, musiciens, danseurs et acteurs. Cette frange artistique avant-gardiste a bientôt attiré des hordes d’auditeurs au-delà des cercles de la musique dite classique.
Dans son loft, Yoko Ono accueillait les sculptures sonores de Robert Morris qui fascinaient John Cage ; Bob Wilson travaillait avec son compagnon le danseur Andy de Groat et la danseuse et chanteuse Meredith Monk devant Marcel Duchamp et Peggy Guggenheim ; la plasticienne et musicienne Laurie Anderson venait écouter Philip Glass répéter dans son loft – où ce dernier hébergea quelque temps Moondog, SDF illuminé et aveugle surnommé « le Viking de la VIe avenue ».
Douce amertume
Monk et Moondog sont d’ailleurs au programme de ce concert où dominent les musiques de Bach (originales ou transcrites) et de Philip Glass, dont quelques-unes des Etudes qu’il avait jouées devant un très vaste public conquis lors d’une exposition Richard Serra (dont il fut l’assistant au début de sa carrière), en juin 2008, au Grand Palais, à Paris.
On pourrait dire que la musique de Glass, depuis son fameux Mad Rush (1980), que joue Shani Diluka, se… répète – jeu de mots facile et usé à propos de celui qui fut longtemps, et presque toujours à tort, qualifié de « répétitif ». Singulière mais beaucoup imitée, son émouvante douce amertume reste dans l’oreille.
Moondog n’est pas précisément un minimaliste : il utilise des formules archaïques en canon, en boucle et en mouvements obstinés qui le font (trop) souvent associer aux musiciens de cette esthétique ; Meredith Monk possède un univers singulier et dit ne pas aimer le qualificatif « minimaliste »… Mais il est vrai que presque tous les minimalistes détestent le terme…
La beauté du programme de Shani Diluka – qu’elle joue subtilement en créant un beau silence à la fois protecteur et communicatif – tient au fait qu’elle ne met pas forcément en regard des pièces qui auraient de trop flagrantes similarités. Au cours de cette intervention – hélas trop courte ! −, la pianiste a, avec raison, préféré les affinités électives et les correspondances poétiques.
Concert par Shani Diluka (piano), filmé mercredi 8 mars 2023 à l’Opéra-Comique, Paris 2e, dans le cadre du Piano Day d’Arte Concert (Fr., 2023, 33 min). Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 28 mars 2025.