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Histoires Web jeudi, novembre 14
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La légende dit que Man Ray (1890-1976), peintre, photographe et génie de la chambre noire, n’aspirait pas spécialement à réaliser des films. Né aux Etats-Unis, il vivait à Paris depuis 1921, entouré de ses amis surréalistes. Mais, un soir de février 1928, Robert Desnos (1900-1945) lut à Man Ray un poème qu’il venait d’écrire, L’Etoile de mer, en hommage à la chanteuse Yvonne George (1896-1930), avec laquelle il avait eu une histoire platonique, déceptive.

Dans les mots de Desnos, Man Ray trouva quelques « images hallucinantes », qui lui donnèrent envie de tourner. Ainsi naquit L’Etoile de mer (1928), l’un de ses quatre films muets avec Le Retour à la raison (1923), Emak-Bakia (1926) et Les Mystères du château du Dé (1929) – Man Ray est aussi l’auteur d’une vingtaine d’essais filmiques, tournés entre 1923 et 1940. Distribués par Potemkine, les quatre « courts » restaurés, réunis sous le titre Retour à la raison, sortent en salle accompagnés de la bande-son planante et minimaliste du duo Sqürl, formé par Jim Jarmusch et Carter Logan.

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Les guitares et percussions douces préservent le mystère de ces ovnis non narratifs. Man Ray refusait de voir au cinéma tout ce qui renvoie au quotidien et se tenait à l’écart des codes du scénario, de l’industrie… Il préférait les personnages fantastiques, tels Fantômas ou les vampires de Louis Feuillade, auxquels il adresse (peut-être) un clin d’œil lorsqu’il masque les visages.

Kiki de Montparnasse, Robert Desnos…

Man Ray cinéaste expérimente des procédés qu’il avait déjà testés, pour certains, dans la photographie. Comme le rayographe, permettant d’obtenir une image sans appareil, l’objet étant simplement posé entre le papier sensible et la source de lumière. Dans Le Retour à la raison, l’artiste crée ainsi une performance hypnotique de clous, de punaises et de ressorts.

Autre astuce, dans L’Etoile de mer, il pose des morceaux de verre cathédrale devant l’objectif afin de perturber l’optique. Les corps des personnages y apparaissent flous, comme vus à travers une vitre ruisselante de pluie (ou des yeux pleins de larmes). Tel ce moment où Kiki de Montparnasse, artiste et égérie de Man Ray, qui incarne une vendeuse de journaux, se déshabille et s’allonge sur le lit, mains derrière la nuque, en présence d’un homme. Ou alors celui-ci a-t-il rêvé ?

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La seule certitude, c’est cette apparition furtive de Robert Desnos, à la fin du film, seule image en mouvement qui existe du poète et résistant. Et aussi cette étoile de mer, enfermée dans un bocal, symbole de l’amour impossible, que Desnos donnera ensuite à Henri Langlois, cofondateur de la Cinémathèque française, à Paris. Les petits piquants de l’animal marin font-ils écho aux dents des femmes, ces « objets si charmants », comme l’indique un carton ? Dans son ouvrage L’Etoile de mer (Gremese, 2018), l’universitaire Carole Aurouet souligne le rôle de Desnos dans la création du film, lequel a pour sous-titre Poème de Robert Desnos tel que l’a vu Man Ray.

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