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Histoires Web lundi, août 18
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C’est l’histoire d’un homme de 64 ans, traité pour schizophrénie, diabète de type 2 et hypertension artérielle, qui est admis aux urgences après avoir été trouvé endormi dehors à proximité d’une caserne de pompiers. Son discours est désorganisé. À son admission, les examens biologiques révèlent une baisse de la concentration de sodium dans le sang (hyponatrémie) et une diminution du taux de potassium sanguin (hypokaliémie). Il est alors transféré dans un service de néphrologie, où il développe un délire de grossesse. Il affirme être enceint à la suite de rapports sexuels récents avec un homme.

Le délire persiste même après la correction des troubles métaboliques. Le patient nie toute consommation de substances illicites. Le test urinaire de dépistage de drogues revient négatif.

Ce patient se définit comme un homme hétérosexuel mais rapporte avoir été attiré sexuellement par des hommes pendant la majeure partie de sa vie. Il évoque un épisode dans sa jeunesse au cours duquel il avait eu un rapport sexuel sans pénétration avec un autre homme et précise n’avoir eu de rapports sexuels passifs avec un homme que dans les jours précédant son hospitalisation, ce qui, selon lui, serait à l’origine de sa grossesse. Cet homme a été marié trois fois à des femmes et est père de trois enfants.

Dans l’unité psychiatrique, il continue à exprimer ses inquiétudes au sujet de sa
grossesse. Par ailleurs, il rapporte entendre des voix l’appelant par son nom. Il déclare surtout présenter des « saignements et des pertes » liés à sa grossesse. Il pense que son abdomen est proéminent en raison de la croissance du fœtus, ce qui entraîne une augmentation de son appétit et de ses prises alimentaires. Il dit aussi percevoir des mouvements fœtaux.

Lorsque les psychiatres lui demandent comment il compte accoucher, il répond de façon vague que « trop peu de sang parvient à ses organes génitaux » et qu’il devrait donc subir une césarienne.

L’idée d’avoir un enfant et de devoir l’élever provoque chez lui détresse et anxiété, tout en soulignant selon lui la nécessité que l’homme qu’il croit l’avoir mis enceint lui verse une pension alimentaire.

Ce patient ne rapporte aucune dysphorie de genre, c’est-à-dire aucun inconfort ou malaise lié à une inadéquation perçue entre son sexe biologique et son identité de genre. En outre, il n’exprime aucun désir d’interrompre sa grossesse et n’éprouve aucune difficulté à croire qu’un homme biologique puisse être enceint. Son délire persiste malgré le traitement antipsychotique (olanzapine puis fluphénazine) et la correction des troubles métaboliques.

Il importe de noter que l’histoire médicale de ce patient sexagénaire comprend un antécédent de chirurgie digestive et des symptômes abdominaux chroniques. Ses sensations abdominales inhabituelles, associées à un rapport homosexuel peu habituel pour lui, pourraient avoir contribué à la survenue de sa conviction délirante.

Confrontation bienveillante à une preuve objective

Avec son accord, un test de grossesse est réalisé afin de lui fournir une preuve objective contredisant son délire. À l’annonce du résultat négatif, il se montre surpris mais soulagé, allant jusqu’à parler de « larmes de joie » car il n’a « plus à manger pour deux ».

Les psychiatres, qui ont rapporté ce cas clinique en mai 2025 dans la revue en ligne Cureus, indiquent qu’il n’est pas certain que cela signifie que cet homme pense n’avoir jamais été enceint ou bien qu’il pense l’avoir été mais qu’il ne l’est plus.

Quoi qu’il en soit, la réalisation d’un test urinaire de grossesse avec le consentement du patient a contribué à faire disparaître son délire. Cette stratégie, qui associe une exploration prudente des croyances quant à la possibilité physique d’être enceint et l’utilisation d’un véritable test de grossesse pour lever le doute, s’est révélée simple, peu coûteuse et efficace.

Dans les jours précédant sa sortie de l’hôpital, ce patient n’exprimait plus la conviction délirante d’être enceint et la posologie des psychotropes administrés en cas d’agitation avait pu être réduite.

Le délire de grossesse est rare chez l’homme, la majorité des cas rapportés dans la littérature survenant chez des femmes en âge de procréer. Publiée en 2015, une étude portant sur 84 cas cliniques de délires de grossesse a montré que seulement 23,8 % concernaient des hommes et 17,9 % des personnes de plus de 60 ans.

Un trouble souvent observé dans la schizophrénie

Le délire de grossesse se caractérise par la conviction persistante d’être enceinte malgré l’absence de toute preuve biologique. Il est le plus souvent observé dans la schizophrénie ou le trouble schizo-affectif.

Des délires de grossesse associés à des troubles de l’humeur, à certaines démences et à des lésions cérébrales organiques, telles qu’une méningoencéphalite causée par la neurosyphilis (paralysie génerale) ou un syndrome post-encéphalitique, ont également été décrits. Un cas de schizophrénie avec délire de grossesse, attribué à un abus sexuel survenu dix ans plus tôt, a aussi été signalé.

En outre, l’apparition simultanée d’un délire de grossesse et d’un délire d’infestation, dans lequel la personne est convaincue d’être envahie par des parasites, a été décrite par des neurologues hongrois chez un homme souffrant d’épilepsie post-traumatique. De même, des neurologues américains ont rapporté le cas d’un Indien de 23 ans, non marié, qui a développé un délire de grossesse huit heures après la survenue d’une crise épileptique (psychose post-ictale).

À distinguer de la couvade et du pseudocyesis

Le délire de grossesse est à distinguer de la couvade, trouble qui concerne généralement le mari ou le partenaire d’une femme enceinte, et qui se manifeste par des symptômes physiques et psychiques similaires à ceux de sa partenaire, tels que perte d’appétit, nausées, constipation, insomnie ou variations de poids. Dans le cas de la couvade, l’homme a pleinement conscience de ne pas être enceint.

Par ailleurs, le délire de grossesse est à différencier du pseudocyesis (ou grossesse nerveuse), trouble qui s’accompagne de signes physiques objectifs simulant une grossesse, comme une distension abdominale, des modifications mammaires ou l’absence de règles. Le pseudocyesis peut survenir dans les deux sexes, mais touche principalement les femmes et reste plus fréquent dans les pays où la fertilité et la procréation sont fortement valorisées.

Quelques cas rapportés en Inde

En 2017, des psychiatres indiens de Mumbai ont rapporté le cas d’un homme de 70 ans présentant un sentiment de culpabilité, une humeur dépressive et des idées suicidaires. Quatre mois auparavant, après un rapport homosexuel, le patient avait commencé à croire qu’il était enceint et qu’il se transformait en femme. Il avait remarqué des modifications corporelles, telles que l’augmentation du volume de ses seins, qu’il cherchait à dissimuler en portant des vêtements amples. Il se regardait fréquemment dans le miroir et avait réduit sa consommation alimentaire afin d’éviter de prendre du poids.

En 1999, des psychiatres indiens de Bangalore ont rapporté le cas d’un homme schizophrène de 29 ans qui a développé un délire de grossesse à deux reprises, chaque fois que sa femme était enceinte. Au début, il croyait avoir Jésus dans son abdomen, avant de déclarer que Jésus était sorti par sa bouche et avait été remplacé par un bébé humain. Il était convaincu que l’enfant avait 40 jours et qu’il s’agissait du même bébé que celui que sa femme portait. Un an plus tard, lors d’une nouvelle grossesse de son épouse, il présentait une rechute.

En 1996, une équipe indienne de Vadodara a décrit le cas d’un homme de 24 ans, suivi depuis trois mois pour un trouble schizo-affectif. Il était extrêmement anxieux et craignait d’être enceint à la suite de rapports homosexuels passifs survenus cinq et trois ans auparavant. Il avait récemment lu un article de magazine relatant le cas d’une grossesse masculine. Il souffrait de constipation et de distension abdominale. Il affirmait sentir des mouvements fœtaux, demandait des examens biologiques en urgence pour confirmer qu’il était enceint et réclamait une interruption de grossesse.

Au contact de femmes enceintes

Chez l’homme, le délire de grossesse a également été associé au fait d’être en contact avec des femmes enceintes. En 1992, une équipe américaine a rapporté le cas d’un homme admis dans une unité psychiatrique où fonctionnait un programme spécialisé pour la prise en charge des femmes enceintes présentant des troubles psychiatriques.

Ce patient a alors commencé à passer beaucoup de temps avec ces patientes, à commander des repas doubles et à boire tout le lait destiné aux femmes enceintes. Il a pris beaucoup de poids et s’est mis à porter de grands vêtements amples. Interrogé sur ce comportement, il affirmait être lui aussi enceint. Il caressait son abdomen en disant : « Je ne devrais pas fumer ces cigarettes, elles sont mauvaises pour le bébé ».

Il posait des questions au personnel infirmier féminin sur leur accouchement afin de savoir à quoi s’attendre. Divorcé et séparé de ses deux filles, il disait vouloir en avoir une autre.

Le cas d’un Américain de 43 ans atteint de schizophrénie chronique, présentant un délire persistant de grossesse, a été rapporté en 1995 dans la revue Psychopathology. Ce patient affirmait être enceint et avoir mis au monde de nombreux bébés humains ainsi que des chiots. Lorsqu’on l’interrogeait sur son désir d’enfant, il déclarait ne pas en souhaiter. Ce patient n’avait jamais été marié et n’avait jamais eu de rapports sexuels au cours de sa vie.

Signes somatiques interprétés à travers le délire

En 1991, des médecins français (Sotteville-lès-Rouen) ont rapporté dans l’American Journal of Psychiatry le cas d’un homme de 56 ans, atteint depuis vingt ans d’un trouble délirant chronique à composante persécutive. Ce patient a été hospitalisé après s’être introduit un couteau dans l’anus, pensant ainsi faciliter l’accouchement d’un bébé.

Son épouse ne souhaitait pas avoir de second enfant. Une semaine avant son hospitalisation, il s’était présenté dans un cabinet de gynécologie, en proie à une forte agitation, persuadé d’être enceint.

Lors de son admission, il se plaignait de sensations inhabituelles qu’il interprétait comme des signes de grossesse : abdomen distendu, spasmes abdominaux, perception de mouvements fœtaux. Il avait pris 4,5 kg, considérant cela comme une preuve supplémentaire de sa grossesse.

Lorsque le personnel médical lui faisait remarquer qu’un homme ne pouvait être enceint, il affirmait être « intersexuel », à la fois homme et femme, et donc susceptible de porter un enfant.

Rationalisations délirantes

Le début de son délire remontait à une intervention chirurgicale pour fistule anale, pratiquée quatre mois plus tôt. Il était persuadé qu’au cours de cette opération de quatre heures, on lui avait greffé un utérus dans l’abdomen. Pour vérifier la guérison de la fistule, une rectoscopie avait été pratiquée. Il affirmait que le chirurgien en avait profité pour réaliser une insémination artificielle par voie anale.

Il pensait également que les neuroleptiques retard qu’il prenait n’étaient pas des antipsychotiques mais des œstrogènes destinés à préparer son corps à la grossesse. La preuve, selon lui : sa poitrine avait augmenté de volume et une galactorrhée était apparue, alors qu’il ne s’agissait en réalité que d’effets secondaires dus aux antipsychotiques.

Par le passé, il avait eu des relations homosexuelles et éprouvait des difficultés avec les femmes, qu’il attribuait à la forme jugée anormale de son pénis. Après quatre mois de traitement par l’antipsychotique chlorpromazine, son délire de grossesse avait totalement disparu.

En 1956, le cas d’un jeune Africain a été rapporté dans les Annales Médico-Psychologiques. Il expliquait : « J’ai deux bébés dans mon estomac. Je les sens, c’est un garçon et une fille. C’est Dieu qui me les a donnés. Je suis très heureux. Je les garde. Je ne suis pas embarrassé ». Chaque nuit, il disait mettre au monde, par se flancs, non seulement des bébés mais aussi des fragments d’enfants et d’animaux. Il était en proie à des hallucinations et pensait que certains membres de sa famille étaient des vampires. Son délire disparut spontanément au bout de quelques semaines.

En 1962, le cas d’un lycéen américain de 19 ans a été décrit. Ce jeune homme avait été hospitalisé car il croyait non seulement être enceint… mais aussi entamer le premier stade du travail !

Pour en savoir plus :

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