Voilà une histoire qui fait froid dans le dos. Un matin tôt, une femme de 37 ans confie ses chats à sa voisine, lui annonçant qu’elle part à l’étranger. Six semaines plus tard, sans aucune nouvelle, la voisine alerte la police. Pour entrer, les agents sont contraints de forcer la porte de son appartement.
À l’intérieur, rien ne semble déplacé, aucun signe d’effraction. Mais dans le salon, un congélateur attire l’attention : sur son couvercle, on peut lire ces mots : « mon choix, ma liberté, ma dignité ». Les policiers l’ouvrent. À l’intérieur : le corps d’une femme, assise, recroquevillée, vêtue de plusieurs couches de vêtements épais. Autour d’elle : des peluches, des fleurs artificielles, un verre vide. Non loin, une bouteille de whisky à moitié vide, et une boîte de benzodiazépines dans laquelle il manque vingt comprimés.
Son dossier médical retrouvé sur place indique une dépression réactionnelle liée à une hyperacousie invalidante, un trouble auditif qui rend certains sons du quotidien insupportables, voire douloureux. Des notes manuscrites, jointes aux documents médicaux, évoquent ses angoisses et son désespoir. Les policiers retrouvent également la facture d’un congélateur coffre de 202 litres, ainsi que le bon de livraison à domicile, daté d’avant le décès.
Devant cette scène insolite, le procureur ordonne qu’un médecin légiste se rende sur les lieux. Le corps de la victime, congelé à –28 °C, est transporté dans le congélateur coffre jusqu’à l’institut médico-légal le plus proche. Des tests ultérieurs montrent que l’appareil pouvait être ouvert de l’intérieur et aucune trace ne permet de penser que la défunte ait tenté de s’échapper.
Elle mesurait 1,61 m pour 55 kg. Une fois sortie du congélateur, son corps a conservé sa posture recroquevillée.
Un scanner post-mortem, réalisé sans injection de produit de contraste iodé, révèle plusieurs fractures du crâne et des signes non spécifiques d’asphyxie pulmonaire. La piste du suicide est aussitôt envisagée, mais la présence de ces fractures oblige aussi à considérer un possible homicide.
Autopsie après décongélation
L’autopsie est pratiquée plusieurs jours après la découverte du corps, le temps nécessaire à sa décongélation. Des prélèvements sont réalisés à des fins toxicologiques et anatomopathologiques, et certains fragments osseux sont examinés au microscope après l’autopsie.
Près du corps, les enquêteurs trouvent des emballages vides de benzodiazépines et une bouteille de whisky à moitié vide, laissant supposer l’ingestion de substances toxiques. Pourtant, les analyses toxicologiques écartent cette hypothèse : ni les médicaments, ni l’alcool n’ont contribué au décès.
Le tissu osseux est fragmenté, probablement en raison de la formation de cristaux de glace liée à la congélation. L’analyse microscopique de fragments du crâne révèle plusieurs lignes de fracture nettes. À fort grossissement, les bords des os fracturés sont lisses, sans trace de cicatrisation, ce qui indique des fractures très récentes. Par ailleurs, aucune hémorragie n’est observée dans les tissus environnants ou dans le cerveau, ce qui suggère que ces lésions sont post-mortem.
De petits caillots sanguins observés à la surface de certains os témoignent d’un début de coagulation. Leur formation semble contemporaine de la fragmentation osseuse. Les auteurs concluent que l’augmentation du volume cérébral liée à la congélation pourrait avoir provoqué ces fractures.
En résumé, rien ne permet d’affirmer que les lésions osseuses ont précédé le décès, indiquent Adeline Blanchot et ses collègues de l’Institut de médecine légale de Strasbourg dans un article publié en janvier 2025 dans l’International Journal of Legal Medicine.
La cause du décès apparaît être multifactorielle
La cause du décès ne peut être attribuée à un seul facteur. Deux mécanismes principaux sont envisagés : l’hypothermie et l’asphyxie.
Le corps a été exposé à une température extrême (-28 °C), comparable à celle rencontrée en milieu polaire. En l’absence d’autre cause identifiée, l’hypothermie a nécessairement contribué au décès. Toutefois, le diagnostic post-mortem d’hypothermie reste délicat à établir en l’absence de signes spécifiques. Les auteurs notent que certaines lésions évocatrices, telles que les taches hémorragiques de la muqueuse gastrique ou une coloration rouge-brun de la peau, n’étaient pas présentes.
Le fait que le corps ait été retrouvé dans un congélateur fermé soulève également l’hypothèse d’une mort par asphyxie. Plusieurs indices classiques ont été observés à l’autopsie : augmentation du poids des poumons, léger épanchement pleural. Au microscope, un œdème pulmonaire massif et diffus a été identifié, sans toutefois que ne soient retrouvées des hémorragies alvéolaires, des ruptures des cloisons alvéolaires ou une distension des alvéoles, comme c’est parfois décrit dans les cas d’asphyxie documentés.
Dans un espace clos comme un congélateur, l’air ne se renouvelle pas. L’oxygène s’épuise progressivement, tandis que le dioxyde de carbone expiré s’accumule jusqu’à atteindre des concentrations toxiques. L’air ambiant contenant 20,9 % d’oxygène, le volume disponible dans le congélateur (une fois déduit le volume du corps) est estimé à 30,87 litres. Sachant qu’un adulte au repos consomme entre 0,3 et 0,5 litre d’oxygène par minute, cette réserve aurait été épuisée en 61 à 112 minutes. Une personne enfermée dans ce type d’espace clos ne pourrait donc survivre au-delà d’une à deux heures.
Suicide complexe
Il s’agit, selon les auteurs, du « premier cas documenté de suicide par confinement dans un congélateur en fonctionnement. Des cas de corps découverts dans des congélateurs ont été décrits dans la littérature, mais dans la plupart des cas, il s’agissait d’un type de stockage post-homicide ».
Dans ce dossier, les éléments recueillis ont permis de conclure à un suicide complexe, reposant sur une méthode à la fois inhabituelle et élaborée. Le geste s’est inscrit dans un contexte de
détresse psychologique profonde, comme en témoignent plusieurs écrits retrouvés au domicile de la défunte, ainsi que la présence d’emballages de benzodiazépines et d’alcool, bien que ceux-ci n’aient pas contribué au décès sur le plan toxico-légal.
Pour rappel, un suicide complexe se définit par le recours à au moins deux méthodes létales, utilisées de manière simultanée ou successive. Dans ce cas précis, une hypothermie extrême et une asphyxie en milieu clos ont été mises en œuvre de façon conjointe.
Ce n’est pas la première fois que des experts en médecine légale documentent un cas de suicide complexe impliquant une hypothermie.
En 2024, dans la revue Legal Medicine, une équipe serbe a rapporté le cas d’un homme retrouvé mort dans son camion, victime d’une combinaison létale : hypothermie, asphyxie, intoxication aux benzodiazépines et au monoxyde de carbone. Il avait relié un tuyau d’échappement à l’habitacle de son véhicule, mais c’est l’exposition prolongée au froid qui a fini par causer son décès.
Plus de dix ans auparavant, en 2011, des médecins légistes serbes avaient décrit dans le Journal of Forensic Sciences un cas encore plus extrême : celui d’un homme ayant eu recours à six méthodes suicidaires distinctes, parmi lesquelles des entailles aux poignets, des plaies au cou, de multiples blessures à la tête infligées avec un tournevis, des brûlures chimiques digestives, une exposition au froid et une ingestion d’insecticide.
Les cas de suicide par hypothermie restent exceptionnels. Toutefois, ils ont été documentés à quelques reprises, notamment chez des personnes retrouvées déshabillées ou partiellement dévêtues. Au-delà des constats médico-légaux, ces cas brossent le portrait glaçant de personnes poussées à mettre fin à leurs jours dans des conditions extrêmement hostiles.
Pour en savoir plus :
Blanchot A, Willaume T, Macoin E, et al. Effects of cold exposure in a confined environment : an original case of suicide by freezing. Int J Legal Med. 2025 Mar ;139(2) :825-836. doi: 10.1007/s00414-025-03413-5
Slović Ž, Todorović M, Andrić I, et al. From suicide to accident – Case report – The significance of the medico-legal autopsies. Leg Med (Tokyo). 2024 Mar ;67 :102397. doi :10.1016/j.legalmed.2024.102397
Wilcoxon RM, Jackson LW, Baker AM. Suicide by hypothermia : a report of two cases and 23-year retrospective review. Acad Forensic Pathol. 2015 ; 5(3) :462–475. doi: 10.23907/2015.051
Petković S, Maletin M, Durendić-Brenesel M. Complex suicide : an unusual case with six methods applied. J Forensic Sci. 2011 Sep ;56(5) :1368-72. doi : 10.1111/j.1556-4029.2011.01821.x h
Straka L, Novomesky F, Krajcovic J, Macko V. Ritual suicide of a Japanese girl in the Slovak Republic. Leg Med (Tokyo). 2009 Apr ;11 Suppl 1 :S506-7. doi: 10.1016/j.legalmed.2009.02.059
Müller K, Gehl A, Ottens R, Püschel K. [Suicide by hypothermia with intentional partial undressing]. Arch Kriminol. 2011 Sep-Oct ;228(3-4):96-101. PMID : 22039695