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Nicolas Sarkozy, aux côtés de trois anciens ministres, est jugé depuis le lundi 6 janvier par la 36e chambre correctionnelle de Paris, accusé d’avoir noué un « pacte de corruption » avec Mouammar Kadhafi. L’ex-« guide » libyen, au pouvoir de 1969 jusqu’à son lynchage en 2011, aurait participé illégalement au financement de sa campagne présidentielle de 2007 en contrepartie, notamment, d’une forme de lobbying français facilitant le retour du paria libyen sur la scène internationale à la fin des années 2010. Des accusations que l’ancien président français a rejetées formellement aux premiers jours de son procès.

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Il serait aventureux de pronostiquer l’issue de ce procès-fleuve, prévu jusqu’au 10 avril. Mais la personnalité du guide libyen et les pratiques mises en œuvre pour atteindre ses objectifs politiques – sur le continent africain tout particulièrement – durant son long règne autorisent à envisager que cette affaire n’aurait pas constitué son premier « pacte de corruption ». Mouammar Kadhafi aimait en effet faire des cadeaux pour gagner des fidélités. « Notamment lors de ses visites à l’étranger, fastueuses, pour lesquelles il ne se déplaçait jamais sans des valises d’argent liquide », explique un familier de plusieurs présidents africains de l’époque.

Ainsi, le 3 janvier 2009 à Conakry, Mouammar Kadhafi n’est pas venu les mains vides. Le séjour en Guinée est improvisé dans la foulée d’un déplacement en Sierra Leone voisine. Et furtif : trois heures seulement, passées exclusivement dans l’enceinte de l’aéroport international de la capitale guinéenne. Le but est de prendre contact avec le nouvel homme fort du pays : le capitaine Moussa Dadis Camara. Le chef de la junte instaurée à la mort du « président-général » Lansana Conté (1984-2008) se voit alors remettre un Toyota Land Cruiser blindé. Il va fièrement l’exhiber dans la cour de son QG, le camp militaire Alpha-Yaya-Diallo.

Mais cela reste une peccadille au regard des sommes déversées par le Libyen, fils de berger bédouin devenu le maître inflexible, sanguinaire et fantasque d’un grand pays pétrolier. La Libye a les plus grandes réserves d’Afrique, évaluées à 48,4 milliards de barils, ce qui la place à la dixième place mondiale. Une manne pour son dirigeant, qui s’en servira pour asseoir son pouvoir auprès de sa population et payer pour son influence au-delà de ses frontières.

Soutien aux mouvements rebelles

Le montant exact de ses largesses demeure inconnu. En 2018, le chef du « gouvernement d’accord national » libyen de l’époque, Faïez Sarraj, avait publiquement manifesté son intention de récupérer une part des 67 milliards de dollars de prêts octroyés et de prises de participation dans des sociétés en Afrique et dans le monde arabe. L’essentiel de cette somme aurait pris la direction de l’Afrique du Sud, de la Tanzanie, de la Zambie, de la Côte d’Ivoire, du Niger ou de l’Ouganda, avait précisé son ministre des affaires étrangères, Mohamed Taha Siala, sur les ondes de Radio France internationale (RFI).

Personne, probablement, n’a tenu la comptabilité précise des sommes versées par Tripoli aux mouvements rebelles du continent africain. Il en est ainsi, par exemple, du soutien militaire, politique et financier accordé au Congrès national africain (ANC) dans sa lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud.

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Peu après sa libération, le 11 février 1990, Nelson Mandela avait entrepris une vaste tournée internationale pour remercier tous ceux qui l’avaient soutenu, lui et son mouvement. « Il s’agissait aussi de renflouer les caisses de l’ANC », se rappelle une source au fait de ce dossier. A l’automne de cette année-là, Nelson Mandela se rend notamment en Egypte et en Libye. « Hosni Moubarak, qui était près de ses sous et n’avait pas voulu ouvrir sa bourse, lui avait assuré que Mouammar Kadhafi le financerait, sans pourtant avertir celui-ci… qui le fit effectivement à hauteur de plusieurs millions de dollars, précise notre interlocuteur. Les responsables de tous crins venaient à Tripoli parce qu’il y avait de l’argent à prendre. »

Ce que confirme Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français en poste à Tripoli de 2001 à 2004 : « Le nombre de visites de chefs d’Etats africains à Tripoli s’élevait à trois ou quatre par semaine en moyenne », se souvient-il.

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Du nord au sud du continent, « les insurgés de toutes obédiences sollicitent le mécène de Tripoli, qu’ils savent prodigue en armes et en financement envers quiconque brandit l’étendard des “combattants de la liberté” », écrit le journaliste Vincent Hugeux dans sa biographie du leader libyen sobrement titrée Kadhafi (éd. Perrin, 2017). « Entre 1976 et 1983, ajoute l’auteur, la main de la Libye laisse ses empreintes, plus ou moins lisibles, sur une dizaine d’aventures putschistes ». « On le soupçonnait d’être derrière chacune des rébellions touareg du Sahel et du Sahara », abonde un familier de plusieurs présidents sahéliens.

Des investissements tous azimuts

Parallèlement, le guide dispendieux investit massivement sur le continent, notamment grâce au fonds Libya Africa Portfolio, dopé aux pétrodollars. « A partir du début des années 1990, il a accru sa présence sur tout le continent noir [où] il a multiplié des investissements considérables […] notamment en ce qui concerne l’immobilier et l’hôtellerie », explique Etienne Damome, professeur à l’université Bordeaux-Montaigne, dans un article publié en octobre 2011 dans la Revue européenne de géopolitique.

« Il a personnellement financé la construction de la plupart des centres islamiques universitaires africains et de dizaines de mosquées […] subventionné personnellement des écoles coraniques […] rémunéré quelque 500 maîtres d’école coranique au Mali », énumère l’auteur. Sans oublier d’immenses fermes agricoles, une multitude de banques, des infrastructures…

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A la tête d’un pays à cheval sur le Maghreb, le Machrek et le Sahel, le guide libyen a toujours nourri des ambitions pour l’Afrique subsaharienne, surtout après l’échec de sa démarche de promotion d’unité arabe. Son objectif est alors de se constituer une cour de vassaux, des dirigeants africains redevables de ses largesses et qui lui auraient permis d’accomplir son rêve : devenir le raïs de l’Afrique.

Sous son impulsion, en 1999, l’Organisation de l’union africaine (OUA) est déclarée morte, remplacée par l’Union africaine (UA), dont la séance inaugurale se tient à Syrte, sa ville natale. Jamais, toutefois, il ne parviendra à y installer le siège de l’UA. « Certes, des dirigeants africains continuaient de prendre son argent, mais plus personne ne prenait au sérieux celui qui s’était autoproclamé “roi des rois d’Afrique” », conclut un médiateur dans la crise libyenne actuelle, qui l’a bien connu.

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