Meilleures Actions
Histoires Web samedi, février 22
Bulletin

Esseulées, marginalisées, rejetées par leur communauté, leur mari ou leurs coépouses car accusées de pratiquer la sorcellerie, les « dévoreuses d’âmes » du plateau mossi, dans le centre du Burkina Faso, ne vivent pas, elles survivent. Perçues comme dangereuses, elles ne doivent leur salut qu’à la générosité de sœurs catholiques qui les accueillent et les nourrissent.

Jusqu’au 15 mars, Nyaba Léon Ouédraogo présente son travail photographique centré sur ces femmes, projet initié par le Musée du quai Branly Jacques-Chirac de Paris lors d’une résidence artistique en 2013, « Photoquai, ce qui change, ce qui se transforme, ce qui reste », et présenté pour la première fois en galerie à Paris, celle de Christophe Person.

« Dualité entre le visible et l’invisible »

Né en 1978 dans le village de Bouyounou (Centre-Ouest), l’artiste burkinabé, lui-même mossi, entend parler pour la première fois, grâce à sa maman, de l’existence de ces femmes dès l’âge de 5 ou 6 ans. A 11 ans, il est confronté à la mort de l’un de ses meilleurs amis et découvre alors au sein même de son entourage cette croyance collective et ce délaissement social : « Dans une société pleine de tabous, elles occupent une place de second rang, perdent leur beauté et leur dignité très tôt, et portent ce lourd héritage [de sorcellerie]. »

Afin de redonner à ces personnes une certaine fierté, le photographe opte pour des portraits en diptyques, dont dix sont présentés : à gauche « au naturel », à droite « idéalisé ». Il aura fallu trois mois de négociations et une année de travail pour « mettre en place le projet », explique l’artiste : « Il a été difficile pour moi de convaincre ces femmes de poser, d’être maquillées et d’être habillées d’une façon particulière pour la seconde partie du diptyque. Et puis j’étais partagé entre compassion à leur égard et colère à l’encontre de cette société mossi qui abandonne ses mères, ses sœurs, ses filles. »

  • Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014).

    Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Galerie Christophe Person

  • Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014).

    Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Galerie Christophe Person

  • Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014).

    Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Galerie Christophe Person

  • Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014).

    Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Galerie Christophe Person

  • Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014).

    Série « Les dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo (70 cm x 100 cm, 2013-2014). Galerie Christophe Person

Christophe Person, qui connaît Nyaba Léon Ouédraogo depuis une dizaine d’années et a créé avec lui la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (BISO) en 2019, souligne que « l’approche en deux parties s’inscrit pleinement dans la logique de [son] travail. Il est intéressé par la dualité entre le visible et l’invisible et sa quête pour le révéler. L’approche sérielle est aussi typique de ses réalisations. A la manière d’un scientifique en sciences dures, il répète l’expérience ».

Lire aussi | Art contemporain : la belle adolescence de la Biennale de sculpture de Ouagadougou

Selon Julien Bondaz, maître de conférences en anthropologie à l’université Lumière-Lyon-II, « cette sorcellerie est parfois appelée anthropophage. Il s’agit non pas de jeter des sorts – sorcellerie dite instrumentale –, mais de dévorer l’énergie vitale d’autrui, “siiga” en mooré, la langue des Mossi. Il est difficile de parler ici de maléfices lancés par de supposés sorciers. Ces femmes se voient attribuer un rôle de “dévoreuses d’âmes” dans le cas de morts suspectes, des décès jugés anormaux, notamment ceux de personnes jeunes ou d’enfants ».

Et l’anthropologue de souligner qu’« un rituel d’interrogation du cadavre [sacrifices d’animaux et invocations, puis transport du corps sur un brancard par des porteurs qui, “guidés” par le défunt, se dirigent vers l’habitation du coupable du décès] est censé permettre de désigner le responsable ou plus exactement la responsable. Les accusés sont souvent des femmes déjà en situation précaire, ayant elles-mêmes perdu des enfants en bas âge. En fait, ces accusations ciblent également le rôle reproductif de la femme, lequel fait l’objet de normes sociales et de jugements moraux ».

« Susciter des interrogations »

La photographie est à la fois un moyen de description du visible mais aussi, paradoxalement, d’évocation de l’invisible, selon Christine Barthe, responsable de l’unité patrimoniale des collections Photographies au Musée du quai Branly : « Ces “dévoreuses d’âmes” sont un travail à la fois précis, ouvert à l’expérimentation et qui suscite la discussion. Il utilise la forme simple de la juxtaposition, mais échappe à quelque chose de binaire. On comprend que les images montrant ces femmes transformées ne sont pas le témoin d’un changement effectif, mais un moment de transition qui offre une possibilité, comme un rêve. »

Cet espace photographique a permis des moments de fantaisie, de séduction propre à chaque prise, créant ainsi un dialogue empreint de respect et de bienveillance entre Nyaba Léon Ouédraogo et ses « modèles » d’un jour, leur proposant une transformation éphémère qui interroge leur statut social en leur permettant d’incarner une nouvelle personne par l’image.

Lire aussi | Art contemporain : Omar Mahfoudi sublime la lumière, du crépuscule à l’aurore

« C’était un plaisir de travailler avec ces femmes, gentilles et généreuses. Je ne voulais pas trouver des réponses à des croyances ancestrales, mais susciter des interrogations. C’était une façon de raconter une histoire qui se passe en pays mossi, une histoire cruelle de nos traditions. Et, qui sait, faire bouger les lignes pour les générations à venir », précise-t-il.

Restez informés

Suivez-nous sur WhatsApp

Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du « Monde Afrique »

Rejoindre

Aujourd’hui, une partie de ces « dévoreuses d’âmes » vivent au centre Delwende, à Ouagadougou, qui existe depuis 1966 et est dirigé par les sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique. Sa principale mission est de lutter contre l’exclusion sociale. Elles y sont accueillies, ne pouvant plus revenir vivre au village, peuvent retrouver leur dignité et, pour certaines, revoir leurs enfants parfois perdus de vue depuis des années.

« Dévoreuses d’âmes », de Nyaba Léon Ouédraogo, à la galerie Christophe Person, 39 rue des Blancs-Manteaux, 75004 Paris. Jusqu’au 15 mars. Du mardi au samedi, de 11 heures à 19 heures.

Réutiliser ce contenu

Share.
© 2025 Mahalsa France. Tous droits réservés.