Une garden-party dans un domaine chic et discret de Malibu. Une roue lumineuse et un jeu d’échecs géant. Deux cent trente invités triés sur le volet. Ce 4 novembre 2021, les convives sont venus écouter un discours : celui de Peter Thiel. L’entrepreneur et investisseur, star influente de la Silicon Valley, est l’invité d’honneur de l’Atlas Society, une organisation vouée à l’œuvre d’Ayn Rand (1905-1982), dont le roman La Grève (Atlas Shrugged, publié en 1957, Les Belles Lettres, 2011), une dystopie mettant en scène des Etats-Unis ruinés par une bureaucratie incompétente, est la bible des libertariens.
Mince, la cinquantaine sémillante dans sa chemise blanche col ouvert et son costume – l’uniforme typique des « capital-risqueurs » de la Silicon Valley –, le cofondateur de PayPal, au son de Money Money Money d’ABBA, fait son entrée devant cet auditoire acquis d’avance. L’Atlas Society lui a décerné un prix pour l’ensemble de son œuvre politique, mais la présidente de l’association annonce la vraie raison de la présence de Peter Thiel : « Nous alerter sur le fait que nous sommes dans un combat à mort entre la politique et la technologie. » Et, manifestement, Thiel a choisi son camp : la technologie.
Curieux personnage, l’entrepreneur fait figure d’intellectuel dans un monde qui ne l’est pas. Lorsqu’il était encore étudiant à Stanford, dans les années 1980, un rituel consistait à ce que chaque élève se définisse d’un mot devant les professeurs. « Intelligent », c’est l’adjectif qu’il avait choisi. Il aurait pu ajouter : « élitiste ». Né en Allemagne, Thiel a passé son enfance en Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Il en a tiré la certitude que certains individus sont faits pour diriger les autres, affiche une aversion absolue pour le multiculturalisme et les progressistes, et un franc scepticisme à l’égard de la démocratie. Il est aussi, comme l’assemblée qui l’applaudit à tout rompre ce soir-là, un adversaire déclaré de l’Etat.
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