« Avec une mère vidéaste et un père psychanalyste, je ne pouvais qu’être cinéaste ! », résume Payal Kapadia, 38 ans, en éclatant de rire. La réalisatrice indienne de All We Imagine as Light, Grand Prix à Cannes, portrait de trois femmes en transit, saisies dans une extraordinaire palette chromatique, étonne par sa vitalité. Née en 1986, à Bombay, elle a été révélée avec Toute une nuit sans savoir (2021), essai brûlant sur une jeunesse militante, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, à Cannes, Œil d’or du meilleur documentaire. Son prochain film est déjà en route, nous dit-elle : « Ce sera une comédie ! »
« Toute une nuit sans savoir », qui dénonçait la mainmise du gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi dans les universités, vous a-t-il causé des ennuis ?
Le film n’a pas été distribué en Inde, comme la plupart des documentaires dans mon pays natal. Certes, il a beaucoup circulé dans les festivals, il a été projeté dans des ciné-clubs et des galeries en Inde. Mais il ne pesait pas grand-chose, face à tous les films de propagande que soutient le gouvernement, de véritables blockbusters véhiculant des idées fausses, notamment islamophobes – je me souviens d’un scénario avec un personnage de musulman qui avait douze femmes… A Cannes, en mai, le pavillon indien présentait quelques œuvres de ce genre.
Ces films de propagande rencontrent-ils du succès en Inde ?
Oui, car ils sont très bien produits. Les gens entrent d’autant mieux dans les histoires, ce qui est problématique. Au Festival international du film de l’Inde, à Goa, en 2022, le cinéaste Nadav Lapid, qui présidait le jury, avait déclenché un incident diplomatique en déplorant, lors de la cérémonie de clôture, la présence en compétition du film The Kashmir Files, de Vivek Agnihotri [lequel revisite avec un certain nombre d’inexactitudes l’exode des hindous du Cachemire dans les années 1990, sous la pression d’extrémistes musulmans].
« All We Imagine as Light » brosse le portrait d’une ville inhospitalière, Bombay. Vos personnages féminins viennent y chercher de la liberté, tout en s’interdisant des choses…
Bombay est une ville paradoxale. Sans doute y trouve-t-on plus facilement du travail, mais les journées sont longues, et il y a peu de régulation sociale. Le personnage de Parvaty, cuisinière et sans papiers, réside dans un bâtiment menacé de destruction, à l’endroit des anciennes filatures de coton. Autrefois, les travailleurs vivaient là, sur un mode communautaire. Puis les ateliers ont fermé, cédant la place à des centres commerciaux. Je ne dis pas que ces habitations ouvrières étaient confortables, mais ces gens ont dû quitter la ville.
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