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Madagascar va-t-elle se plier à l’avis du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire demandant la libération de l’ancien officier de gendarmerie franco-malgache, Paul Maillot Rafanoharana condamné à vingt ans de prison en décembre 2021 pour tentative présumée de coup d’Etat avec le dessein d’assassiner le président Andry Rajoelina ?

Un mois après la publication officielle de l’avis adopté à l’issue d’une enquête menée par des experts indépendants, le silence continue de prévaloir à Antananarivo. L’instance de l’ONU avait été saisie en 2022 par la famille de Paul Maillot. « Vous serez informé en temps voulu », répond le ministre de la justice, Benjamin Alexis Rakotomandimby, sollicité par Le Monde en précisant que le processus judiciaire concernant le dossier Apollo 21 – du nom donné à l’affaire – est clos et que la décision n’est pas de son seul ressort.

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La réserve demeure aussi de mise côté français. « La France a pris connaissance de l’avis rendu sur le cas de Paul Maillot et sera attentive aux mesures susceptibles d’être prises par les autorités malgaches. Sa situation fait l’objet d’un suivi régulier par le ministère des affaires étrangères au titre de la protection consulaire », commente sobrement une source diplomatique.

Les avocats de l’ancien militaire de 61 ans, détenu depuis trente-sept mois dans une cellule sans fenêtre de 2 m sur 4 m dans le quartier d’isolement de la prison de Tsiafahy décrite comme un « enfer carcéral » par Amnesty International, comptent bien cependant tirer profit de ce rebondissement pour ramener à la lumière la situation de leur client dont ils ont toujours plaidé l’innocence et dénoncé les irrégularités de la procédure qui ont conduit à sa condamnation.

« Cerveau » de l’affaire ?

« Cet avis n’est pas coercitif mais il pèse dans la réputation des Etats. Quand un pays vit sous perfusion de financements extérieurs [ comme Madagascar], peut-on accepter que ses pratiques carcérales soient ainsi mises en cause par les Nations unies ? », s’interroge MPierre-Olivier Sur, en espérant a minima pouvoir faire aboutir rapidement la demande de transfèrement réclamée depuis 2022 en vertu des accords de coopération entre les deux pays.

Paul Maillot Rafanohara a été arrêté le 20 juillet 2021 avec vingt autres personnes. Parmi eux, le colonel français Philippe François et un ancien employé de la Banque centrale, Aina Razafindrakoto, avec lesquels il était associé dans une société de négoce d’or, un ancien premier ministre Victor Ramahatra, cinq généraux, ainsi que son épouse Voahangy Andrianandrianina, aujourd’hui toujours incarcérée, et dont l’état de santé est jugé critique.

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Considéré comme le « cerveau » de l’affaire, l’ex-gendarme a écopé de la plus lourde peine lors du verdict rendu en décembre 2021. Philippe François, saint-cyrien comme lui, a été condamné à dix ans, mais son rapatriement, facilité par les pressions de la hiérarchie militaire et du comité de soutien présidé par l’écrivain et ancien ambassadeur Jean-Christophe Rufin, a été obtenu en juin 2023.

Selon Paris, la double nationalité de Paul Maillot Rafanoharana explique l’enlisement du dossier malgré les entrevues régulières entre Emmanuel Macron et son homologue malgache à l’Elysée. « Nous ne discutons pas les décisions de justice, mais Paul Maillot devrait pouvoir bénéficier du même traitement [que Philippe François]. C’est un officier français, une personne qui s’est engagée pour l’intérêt de son pays », rappelle le général Luc Beaussant, délégué général de l’association La Saint-Cyrienne qui regroupe les anciens élèves de l’école. Le Franco-Malgache y a été formé de 1984 à 1987, dans la même promotion que l’ancien chef d’état-major des armées, François Lecointre (2017-2021).

Conseiller diplomatique d’Andry Rajoelina

Plus qu’un simple officier, c’est aussi un intermédiaire que le gouvernement français a utilisé dans sa relation bilatérale avec Madagascar au moment où Andry Rajoelina, parvenu à la tête du pays à l’issue d’un putsch en 2009, se trouvait au ban de la communauté internationale – il a dirigé le pays une première fois comme président de la transition de 2009 à 2014 puis a été élu en 2019. Nicolas Sarkozy, alors maître de l’Elysée, est favorable à une normalisation. Paul Maillot sera l’homme de la situation.

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L’ancien gendarme, reconverti dans les affaires, navigue entre la France et Madagascar où il a renoué depuis quelques années seulement avec ses racines. A la tête d’une société d’informatique, il a délocalisé une partie de ses activités sur la Grande Île et veut être utile à ce pays dont il a découvert l’immense pauvreté. A la demande officieuse de l’Elysée, il devient conseiller diplomatique d’Andry Rajoelina afin d’œuvrer à la reconnaissance du régime par les chancelleries étrangères.

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La France est la première à franchir le pas en recevant le nouvel homme fort au Quai d’Orsay en mai 2011. Mais l’aventure tourne court. Rapidement, il se heurte à certains membres de l’entourage du tombeur de Marc Ravalomanana qu’il juge toxiques pour les intérêts du pays et jette l’éponge au bout de trois mois, comme il s’en explique dans une interview donnée à L’Express de Madagascar, le 16 mai 2011. Malgré cette déconvenue, sa vie ne sera désormais plus éloignée des cercles d’influence où se discute l’avenir du pays et il reste un interlocuteur des diplomates français qui se succèdent en poste à Antananarivo.

Fervent catholique, devenu conseiller de l’influent archevêque d’Antananarivo, Odon Razanakolona, il anime à partir de 2015 un groupe de réflexion baptisé Groupe d’experts stratégiques et sectoriels (GE2S). Composé d’une dizaine de personnalités issues de la haute fonction publique ou du secteur privé, le groupe se réunit en toute discrétion deux fois par mois au domicile de l’un d’eux.

Mamy Ravatomanga, le conseiller de l’ombre

Personnage au parcours singulier qui détonne dans les cénacles malgaches, Paul Maillot n’est pour autant pas considéré comme un opposant. Lorsque Andry Rajoelina, après avoir été contraint de se mettre en retrait à l’issue du régime la transition (2009-2013), revient au pouvoir par les urnes fin 2018, il est à nouveau sollicité pour rejoindre le cercle des conseillers présidentiels. Il décline, suscitant l’incompréhension de Paris qui continue de miser sur l’ancien entrepreneur de spectacles. Signe de cette continuité, c’est Nicolas Sarkozy qui sera mandaté par Emmanuel Macron pour assister à l’investiture.

Fin 2019, alors que le plan Emergence Madagascar promis pour « rattraper en cinq ans ce qui n’a pas été fait depuis l’indépendance » se fait toujours attendre, la directrice de cabinet d’Andry Rajoelina, Lova Hasinirina Ranoromaro, se tourne vers le GE2S. La création d’une task force pour aider le président à sortir de l’enlisement qui guette est à l’étude. Celle qui est aujourd’hui son porte-parole, peut avancer en confiance. Son père fait partie des membres du petit groupe qui lui remet une note de six pages, consultée par Le Monde et dans laquelle se mêlent pistes de réformes et charge contre une mauvaise gouvernance qui prospère sur fond de « népotisme et de favoritisme ».

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L’irruption de la crise du Covid-19 ajourne les discussions pendant un an mais fin 2020, dans un contexte économique et social encore plus dégradé, un remaniement ministériel redevient d’actualité. Et le nom de Paul Maillot circule sur la liste des pressentis. La presse locale s’en fait l’écho. « Quel intérêt aurais-je eu à assassiner celui qui voulait me nommer premier ministre ? », questionnera le futur condamné au cours de son procès.

Quelques mois après le verdict, la fuite sur les réseaux sociaux de trois notes verbales envoyées en janvier 2021 par l’une des très proches conseillères du président atteste des échanges qui ont eu lieu au plus haut sommet de l’Etat pour remplacer l’inamovible premier ministre Christian Ntsay, reconduit sans discontinuer depuis 2018 et toujours en poste aujourd’hui.

« Privation arbitraire de liberté »

Dans ces brefs enregistrements qui s’adressent à Paul Maillot, Romy Voos Andrianarisoa, qui a depuis été emportée par un scandale de corruption en cherchant à obtenir un pot-de-vin auprès de la société britannique Gemfields, évoque ses discussions avec le PRM (Président de la République malgache) : « Je crois que ton nom a été soumis sous plusieurs angles et dans les écrits que j’ai soumis aussi, mais je ne sais pas exactement ce que pense le PRM de cette proposition et tant qu’on ne se défait pas de la mainmise de PB, ce sera lui qui imposera le PM ». PB pour « pierre bleue » est la traduction du malgache Ravatomanga et désigne le sulfureux homme d’affaires, Mamy Ravatomanga, conseiller de l’ombre, puissant au point qu’il est souvent qualifié de vice-président pour signifier que, dans les faits, il est celui qui dirige le pays.

Les discussions entre Romy Voos et Paul Maillot se poursuivront jusqu’en juin 2021, selon les témoignages de plusieurs sources avant son arrestation le 20 juillet. Quelques semaines plus tard, le premier conseiller de l’ambassade de France, proche de Philippe François, devra quitter précipitamment Antananarivo.

Dans son avis, l’instance onusienne ne demande pas seulement la libération immédiate de l’ancien officier de Saint-Cyr, elle appelle aussi à ce que réparation lui soit accordée sous forme d’indemnisations et invite le gouvernement malgache à ouvrir une « enquête approfondie et indépendante sur les circonstances » ayant mené à cette « privation arbitraire de liberté ».

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