« Enfant, j’étais environné de nature. J’ai grandi à Saint-Laurent-sur-Sèvre, un petit bourg en Vendée, au milieu des champs. Mon père était instituteur, ma mère travaillait à la mairie. Plusieurs de mes oncles possédaient des fermes. Je vivais dehors, on mangeait les légumes du jardin, des noisettes et des herbes sauvages, du cresson de ruisseau. On pêchait les écrevisses, on tuait le cochon tous les ans. C’était très rural, archaïque. Ma famille n’avait pas vraiment de culture culinaire, mais nous mangions bien, simple et copieux : des mogettes [haricots blancs], du jambon, du boudin noir, des choux… J’entretenais un rapport intense à la nature, aux cycles de la vie et de la mort, à l’odeur des bois, au renouveau du printemps, à la fleur, à la sève.
Quand je suis venu vivre et étudier à Paris, à 20 ans, je cherchais sans cesse à retrouver ces émotions. Sur le boulevard de la Bastille, où j’habitais, les cerisiers en fleur ont fait ma joie tous les printemps. J’attends toujours cette saison du renouveau avec énormément de ferveur, d’impatience. J’adore ce surgissement, cette reconnexion au monde, que je retrouve dans des livres comme L’Ancêtre, de Juan José Saer.
J’ai commencé par travailler dans l’édition à Paris, je voulais raconter des histoires, j’ai voyagé pour écrire sur des hôtels, des tendances, des quartiers et des villes qui changent, et la cuisine qui mettait tout ça en musique, avec une nouvelle génération de chefs talentueux, un peu punk et accessibles. Je me retrouvais bien dans cet espace entre poésie des rencontres, littérature, nourriture et nature.
Une énergie que je sens aujourd’hui chez certains chefs comme Omar Koreitem [Mokonuts] ou Francesca Feniello [Tempilenti], qui savent créer des goûts purs et soyeux, limpides et lumineux. La recette du ash revisité est celle de la cheffe iranienne Minou Sabahi, qui a aussi ce talent. C’est une soupe traditionnelle qu’elle a transformée en salade, savoureuse et tiède, et dont elle m’a partagé la recette – une histoire de rencontre, d’ouverture à d’autres cultures à travers la cuisine.
Escroc mythomane
De loin, au fil du temps, j’ai vu la campagne de mon enfance se détériorer et disparaître, les fermes se vider, les haies être arrachées, la nature reculer. J’ai été ébranlé par ces changements, j’ai commencé à écrire sur le sujet. Je voulais comprendre, rouvrir les portes qui s’étaient fermées, réintéresser les gens à ce qui est bon pour eux.
En 2012, j’ai rencontré Cédric Naudon, un homme d’affaires supposément richissime, qui faisait rêver en parlant de remettre du lien entre la ville, la campagne, les producteurs et les mangeurs, les univers du design et de la gastronomie. Le cœur du projet me passionnait. Il m’a approché, m’a embauché.
Avec lui et beaucoup d’autres, nous avons imaginé le concept de La Jeune Rue, un quartier dédié à l’agriculture vertueuse et à la bonne bouffe. Nous étions nombreux à y croire, avant de comprendre qu’on avait affaire à un escroc mythomane et que le rêve ne s’effondre. Comme le podcast que j’ai consacré à cette affaire, ce plat d’herbes raconte un peu ma vie : les prairies de ma jeunesse, la rumeur du monde et, au milieu, Paris et son goût des mélanges. »
Podcast « La Jeune Rue », de Paul-Henry Bizon (5 épisodes), produit par Nouvelles écoutes, disponible sur toutes les plateformes.