Nouvelle fenêtre de tir pour accélérer les restitutions : après des rendez-vous manqués, le gouvernement français doit remettre à l’agenda, fin juillet, un projet de loi très attendu facilitant le retour dans leur pays d’origine de biens culturels pillés pendant la colonisation.
Malgré les promesses du président Emmanuel Macron en 2017, les restitutions se font encore au compte-gouttes en France, chacune d’elles requérant le vote d’une loi spécifique pour sortir un bien des collections publiques. Actuellement, seuls 27 objets ont été restitués, dont 26 au Bénin en 2021, alors que des demandes portant sur plusieurs milliers d’objets ont été déposées par dix Etats, principalement africains (Algérie, Madagascar, Côte d’Ivoire…), selon un décompte datant de 2023.
« Des milliers de pièces ont été restituées vers l’Afrique de par le monde et la France se trouve vraiment à la traîne », estime la chercheuse Saskia Cousin, interrogée par l’Agence France-Presse (AFP). En 2022, l’Allemagne et le Nigeria se sont ainsi entendus sur la restitution d’environ 1 100 œuvres.
Pour enclencher la vitesse supérieure, le gouvernement français prévoit de présenter le 30 juillet, en conseil des ministres, un texte qui permettra de déclasser un bien par un décret en Conseil d’Etat afin de le restituer sans passer par la voie législative, ont récemment rapporté à l’AFP les services du premier ministre. Ce projet de loi-cadre concentre « l’essentiel des attentes », a récemment convenu la ministre de la culture, Rachida Dati, qui a connu des déconvenues sur le sujet. Au printemps 2024, elle avait été contrainte de retirer de l’ordre du jour parlementaire un premier texte jugé insuffisamment motivé par le Conseil d’Etat et attaqué par des sénateurs de tous bords, qui dénonçaient un « examen à marche forcée ».
« C’est un sujet délicat, attendu, et il faut donc qu’on produise une bonne législation », explique à l’AFP la sénatrice (Seine-Maritime, Union centriste) Catherine Morin-Desailly, spécialiste du sujet et désignée rapporteuse du futur texte lors de son examen au Sénat, à la rentrée.
Crânes algériens, sabre sénégalais
Quels critères de restitution seront retenus ? Et quel sera le motif impérieux avancé pour justifier l’entorse à l’inaliénabilité des collections publiques ? Dans son avis de 2024, le Conseil d’Etat avait estimé que la « conduite des relations internationales » n’était pas, à elle seule, suffisante. Du côté du Sénat, on attend également que le futur texte fixe une méthode rigoureuse d’examen des demandes de restitution afin d’éviter tout impair.
Un précédent reste en tête de plusieurs sénateurs. En 2020, la France avait restitué à Alger 24 crânes en affirmant qu’il s’agissait de ceux de combattants anticoloniaux algériens. Or deux ans plus tard, une enquête du New York Times avait établi que seuls six de ces crânes appartenaient sans doute possible à des combattants et que l’origine des autres ossements était très incertaine. Des doutes entourent également le sabre remis fin 2019 par la France au Sénégal. Au moment de sa restitution, l’historien africaniste Francis Simonis avait assuré que cette arme n’avait « jamais appartenu » au chef de guerre El Hadj Oumar Tall, contrairement à ce qu’affirmaient les autorités françaises.
« Avant que le Parlement ne se dessaisisse de son pouvoir, on veut s’assurer qu’il y ait tout un travail méthodique et scientifique pour être sûrs de l’authenticité du geste », affirme Catherine Morin-Desailly. Egalement très au fait du dossier, son collègue (Hauts-de-Seine, Groupe communiste républicain citoyen et écologiste – Kanaky) Pierre Ouzoulias croit qu’un « consensus politique » s’est forgé à la faveur de la restitution du tambour parleur à la Côte d’Ivoire, votée en juillet par le Parlement, malgré les désaccords sur la période coloniale. « Ce n’est pas au Parlement d’écrire l’histoire », soutient le sénateur à l’AFP : « En revanche, c’est notre rôle de réparer des fautes et d’apporter la justice, comme cela a été fait pour les spoliations antisémites ou les restes humains », qui ont tous deux fait l’objet de lois-cadres en 2023.
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Selon lui, la montée en puissance des restitutions ouvrirait de nouveaux horizons diplomatiques : « Il faut les concevoir comme des formes de coopération entre des Etats qui travaillent à la reconstitution d’un patrimoine national auquel les populations sont profondément attachées. »