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Histoires Web samedi, septembre 21
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Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire du Monde, a 25 ans quand elle se retrouve à couvrir le procès de Klaus Barbie. Trente-huit ans plus tard, la journaliste n’a quitté ni Le Monde ni les prétoires. Pour le festival, elle revient sur toutes ces années passées dans les tribunaux et les leçons journalistiques et humaines qu’elle en a tirées.

Les comptes-rendus d’audience passionnent les lecteurs. Comment expliquez-vous cet intérêt pour les procès et vous, quel attrait y trouvez-vous ? 

Pascale Robert-Diard : Premièrement, je pense que c’est l’étiquette du « fait divers » qui attire les foules. Voir jusqu’où peut aller la nature humaine avec tout l’interdit et le mystère que cela comporte. À titre personnel, ce qui m’intéresse le plus, c’est le franchissement de ligne c’est-à-dire les raisons qui poussent un être à basculer à un moment donné. Quels sont les verrous que moi j’ai et que lui ou elle n’a pas eus ? L’apprentissage du procès, c’est aussi de voir que, souvent, ça ne tient pas à grand-chose pour que l’on bascule ; d’ailleurs les schémas pour arriver jusqu’à ce point de non-retour sont souvent similaires.

Est-ce qu’il y a des procès qui vous ont marqués au point qu’aujourd’hui, vous y repensez fréquemment ?

P. R-D. : Il y en a tellement, trop même. Dans les audiences, il y a toujours un moment, un vertige où l’affaire sort du dossier papier pour prendre corps et chair et cela, on ne peut pas l’oublier. C’est pour cette raison que je n’ai pas d’affaires en particulier à citer, mais j’ai plein de moments, de visages, de scènes. Il y en a une peut-être, un moment, qui m’a marqué au point d’en faire un livre qui s’appelle La déposition : l’affaire Agnelet-Le Roux, un assassinat commis en 1977 et définitivement jugé en 2014. Au procès, le fils de Maurice Agnelet a accusé son père à la barre. C’était un moment très fort, mais, même après la fin de la procédure, je n’arrivais pas à me sortir cette scène de la tête, à lui trouver du sens. J’ai donc écrit une grande lettre au fils de l’accusé pour lui dire que j’avais besoin de comprendre et c’est comme ça que mon livre est né.

Raconter cette complexité-là et, comme l’exige la chronique judiciaire, avec style, est un exercice compliqué. Comment bien décrire, bien écrire, tout en restant juste ? 

P. R-D. : Écrire juste, c’est forcément écrire bien. Il faut choisir chaque mot comme un peintre choisirait ses couleurs. La chronique judiciaire est un exercice qui porte très haut cette nécessité-là. C’est un univers de tragédie, une unité de temps, de lieu et d’action. Tout ce que vous voulez transmettre de la violence et de l’émotion va passer par les mots. D’autant que les tribunaux sont le seul endroit où la presse écrite est encore reine. Depuis très longtemps, j’ai une règle d’écriture, qui a été édictée par Colette qu’on peut traduire ainsi : «  Ne me dis pas qu’une conversation était drôle, raconte moi les blagues.  » Dans un procès, il ne faut pas dire qu’une scène était bouleversante, il faut montrer le regard perdu de la mère, l’accusé qui s’affaisse dans le box, qui n’ose pas lui parler. La meilleure façon d’écrire une chronique judiciaire, à mon sens, c’est de ne pas étiqueter l’instant avant d’avoir été capable de le décrire.

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