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L’heure est à la prudence. Entre la crise économique en Chine, les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, les élections législatives en France et présidentielle aux Etats-Unis, l’avenir inquiète les marques de luxe, qui préfèrent jouer la carte de la sécurité. Sans renoncer aux défilés de mode, essentiels dans leur stratégie de communication, elles imaginent des shows moins démonstratifs et mettant en valeur une garde-robe très pragmatique : à la fashion week masculine printemps-été 2025, qui s’est terminée le 23 juin à Paris, petites et grosses maisons ont proposé un vestiaire joli et facile à porter, de nature à séduire un vaste panel de clients.

« J’ai imaginé une garde-robe complète, centrée sur l’artisanat, les archives. Je voulais apporter de la lumière, de la souplesse, après avoir fait plusieurs collections assez structurées. Et puis, par les temps qui courent, un peu de légèreté ne peut pas faire de mal », avance Kim Jones. Le designer des collections masculines de Dior renoue avec une forme de simplicité. Inspiré par les archives féminines de Christian Dior des années 1950, il propose un best of de la penderie masculine à base de costumes à veste ajustée et pantalon un peu baggy, blousons à poches plaquées, manteaux légers et shorts élégants.

La singularité réside dans la noblesse des matières, très luxueuses, et les références au travail du céramiste sud-africain Hylton Nel. Des chats et des chiens mignons se retrouvent dessinés sur un pull col roulé, représentés sous forme de motif clouté sur des costumes sombres, brodés avec des milliers de perles sur une veste bleu et blanc délicate comme une porcelaine chinoise. Même le décor, que Kim Jones imagine souvent maximaliste – un carrousel qui se soulève dans les airs ou des mannequins surgissant de trappes cachées dans le sol –, reste cette fois-ci modeste : des chats de Hylton Nel ont simplement été reproduits dans une version agrandie.

« C’est une collection sur la villégiature, la mer, tout ce qui peut nous faire du bien en ce moment. Il faut rendre la vie belle à son échelle. Moi, c’est par le travail sur les matières, les formes, les dessins, sur ce que les vêtements disent de nous », devise Véronique Nichanian chez Hermès. La directrice artistique de la ligne masculine a investi le vaste Palais d’Iéna pour faire déambuler des mannequins légèrement vêtus, à l’aise, mais toujours élégants. Les chevilles sont à l’air, mises en valeur par les pantalons larges et courts associés à des sandales en cuir. En haut, les tee-shirts et bombers sans manches, les cardigans portés sans rien en dessous, les chemisettes perforées laissent voir la peau.

Certains mannequins ont même la chemise entièrement ouverte – une décontraction inhabituelle chez Hermès –, laissant entrevoir un tatouage sur le torse, un motif de brides entrelacées imprimé sur le vêtement qui se prolonge sur le corps. « J’aimais cette idée du dessin qui glisse sur la peau », explique Véronique Nichanian, qui a aussi imaginé des esquisses de chevaux sur des pulls. L’animal totem de la marque se retrouve aussi dans le vestiaire du soir, discrètement disséminé sur une veste réversible aux reflets argentés. « De la douceur, c’est ce que je souhaite à tout le monde », souligne la designer.

Motifs floraux et délicats

Si Véronique Nichanian a puisé l’inspiration du côté du ciel et de la mer, Satoshi Kondo, directeur artistique d’Issey Miyake depuis la mort du fondateur, s’est laissé porter par le vent. Sur le parvis du Mobilier national, il mise sur la beauté sobre de fines sculptures verticales ployant au gré des bourrasques. Le vent infuse cette collection, de l’utilisation de matières légères au travail des formes. On le retrouve dans un imprimé à carreaux distordu, ou dans une silhouette dont le dos se confond avec un cerf-volant virevoltant. Des manteaux ou des vestes attachés par des bretelles, à travers lesquels l’air circule et gonfle le tissu, rappellent les harnais des parachutes ; certains peuvent être roulés en boule et liés pour faciliter leur transport. Pratique et colorée, la collection est aussi suffisamment épurée pour que l’on puisse superposer tee-shirt, chemise, foulard, imperméable. L’été, on s’habille léger, semble nous dire Miyake.

Chez Yohji Yamamoto, tout comme chez son compatriote Miyake, c’est un pragmatisme poétique qui se dessine. Le Japonais, qui présente ses collections dans la capitale depuis 1981, signe un vestiaire articulé autour de pièces légères en soie souple – pantalons amples, pardessus élégants, longues chemises superposées… –, parfois imprimées de motifs floraux et délicats, à l’image des estampes japonaises. Si l’ensemble est en grande partie en noir et blanc, le noir étant la teinte de prédilection de Yamamoto, ce vestiaire n’est pourtant pas monotone grâce à la fluidité de la matière et à la souplesse des coupes, qui laissent les corps déambuler en totale liberté.

La couleur, c’est en revanche ce qui saute aux yeux chez AMI. « C’est une collection pensée pour un été parisien. Un été décontracté, léger, avec des couleurs élégantes », explique Alexandre Mattiussi. Lui qui a fait du vestiaire chic et portable sa signature depuis ses débuts en 2010 s’amuse pour l’été 2025 avec du vert sapin sur de longs bermudas, du camel sur des grands pardessus portés avec des shorts rouges, du vert olive sur des costumes souples, ou encore, pour la femme, des jupons à volants jaunes ou rouges. Les grandes chemises masculines portées avec des vestes de tailleur évoquent quant à elles le parfait vestiaire de la Parisienne. « Il n’y a pas d’intellectualisation dans mon travail. Je ne suis pas le genre de créateur qui va dire “je suis allé chercher l’inspiration dans tel ou tel livre”. AMI, c’est la réalité. »

Tout en proposant un vestiaire étonnamment portable cette saison, Jonathan Anderson, chez Loewe, prend l’exact contre-pied d’Alexandre Mattiussi. Il nourrit sa collection de références artistiques pointues et disparates, disséminant dans l’espace immaculé du défilé des œuvres du photographe Peter Hujar (un cliché d’escarpin), de l’architecte Charles Rennie Mackintosh (un portemanteau et une chaise), du designer Carlo Scarpa (un chevalet), du sculpteur Paul Thek (des petites sculptures de bronze) et de l’écrivaine Susan Sontag (l’essai Contre l’interprétation). « Des personnes radicales et singulières dont j’apprécie particulièrement le travail », résume le designer.

Le lien avec la collection ne saute pas aux yeux, celle-ci surprend plutôt par sa simplicité inhabituelle, proposant beaucoup de costumes noirs à la coupe parfaite qui allongent la silhouette et des tee-shirts drapés d’où l’inscription « Loewe » émerge des plis. Il y a aussi des pièces très luxueuses, comme ces manteaux en cuir bimatière (tacheté comme du cuir d’autruche d’un côté, lisse comme du veau de l’autre), ou ces sacs en python doré qui brillent comme des lingots d’or.

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Pour être fidèle à la recherche sur les formes qui caractérise son travail, le créateur irlandais a aussi prévu quelques pièces qui attrapent l’œil, à l’instar de ces pantalons en maille XXL ou de ce manteau dont les pans sont relevés vers le haut, que l’on dirait figé par le vent. Lorsque la tendance dominante est celle d’un vestiaire raisonnable, et parfois un peu interchangeable, il est d’autant plus crucial de se démarquer dans les détails.

Rick Owens et son « armée d’amour »

Si la plupart des marques ont privilégié des propositions sages et portables à la fashion week masculine de Paris, ce n’est pas le cas de Rick Owens. L’Américain de 62 ans se surpasse chaque saison pour proposer des collections exceptionnelles, de la forme des vêtements à leur mise en scène. Pour le printemps-été 2025, sur le parvis du Palais de Tokyo, il a imaginé une procession religieuse défilant avec une rigueur militaire : au son de la Symphonie no 7 de Beethoven, deux cents mannequins avancent par groupes de vingt, alignés en rangs de quatre, vêtus de tenues identiques qui soulignent la disparité des corps – ceux d’élèves d’écoles de mode pour la plupart. Tous en blanc, certains groupes portent des soutanes à capuche, d’autres des tuniques virevoltantes ou des capes aux reflets argentés. Au milieu, des porteurs vêtus légèrement transportent une pyramide métallique à laquelle sont accrochées deux femmes en position de grand écart. La force du groupe, de l’uniforme, de la chorégraphie et la beauté des tenues créent un ensemble hypnotisant. « Une armée d’amour en satin blanc », selon Rick Owens, qui cherche à « exprimer des sentiments d’unité et de confiance à un moment où l’intolérance est à son paroxysme ». Et prouve, au passage, que le défilé peut encore être un terrain d’expérimentation… et d’émotion.

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