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Après la mort de Philippine, dont le corps a été retrouvé au bois de Boulogne, en région parisienne, le 21 septembre, plusieurs personnalités politiques ont relancé le débat sur les dysfonctionnements des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Le principal suspect du meurtre était en effet un Marocain déjà condamné pour viol, sous le coup d’une OQTF à sa sortie de prison et passé par un centre de rétention administrative (CRA) durant soixante-quinze jours avant d’être assigné à résidence dans l’attente de son expulsion – mesure qu’il n’avait pas respectée.

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Le premier ministre, Michel Barnier, a proposé, mardi 1er octobre, lors de son discours de politique générale, de « faciliter la prolongation exceptionnelle de la rétention des étrangers en situation irrégulière », qui est de quatre-vingt-dix jours actuellement. Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, propose de l’étendre jusqu’à deux-cent-dix jours en cas de crime grave. Une surenchère dénoncée par des associations et juristes spécialisés dans le droit des étrangers, qui contestent l’efficacité d’une telle mesure.

Comment fonctionnent ces mesures administratives ? Et pourquoi sont-elles critiquées ?

Qu’est-ce qu’une OQTF ?

L’obligation de quitter le territoire français, dite OQTF, est une mesure administrative pouvant être prise par les préfectures afin d’expulser du territoire français un étranger en situation irrégulière vers son pays d’origine.

Elle se distingue d’autres mesures administratives d’éloignement comme l’arrêté d’expulsion pouvant être pris en cas de trouble à l’ordre public (y compris pour des étrangers en situation régulière) ou encore de l’interdiction du territoire français (ITF), qui est une peine prononcée en cas de délit ou crime. S’y ajoutent d’autres mesures liées au droit européen, prévoyant des raccompagnements au sein des pays de l’Union.

Depuis la loi dite « Besson » de 2011, l’OQTF est l’une des procédures les plus utilisées. La loi « immigration » de janvier 2024 l’étend à des catégories de population jusque-là protégées (comme les personnes arrivées en France avant l’âge de 13 ans) et rallonge leur délai d’exécution, d’une à trois années.

En 2022, selon les dernières données disponibles, les préfectures ont prononcé 134 280 OQTF contre des personnes étrangères mais seules 6,4 % d’entre elles se sont terminées par un refoulement.

Quelles situations aboutissent à une OQTF ?

Derrière ces chiffres, deux grandes catégories de situations coexistent :

les OQTF prononcées lors d’une demande ou d’un renouvellement de titre de séjour en préfecture. En cas de refus, une OQTF est envoyée par courrier avec accusé de réception. La personne concernée dispose de trente jours pour quitter volontairement le territoire ou contester cette décision devant un juge administratif, qui a jusqu’à six mois pour se prononcer. Ce scénario représente la moitié des cas, avec un taux d’éloignement très faible (environ 2 %).

les OQTF prononcées à la suite d’une interpellation, par exemple lors d’un contrôle d’identité mettant au jour la situation irrégulière de la personne, ou à la suite d’une infraction pénale ayant abouti à une peine assortie d’une annulation du titre de séjour. La personne pourra se voir délivrer une OQTF sans délai de départ volontaire. Dans l’attente de son exécution, elle pourra être assignée à domicile ou placée en rétention, avec la possibilité de déposer un recours suspensif dans les quarante-huit heures, sur lequel un juge devra se prononcer dans un délai de 96 heures. Entre 2019 et 2022, 5,5 % des OQTF avaient été prononcées pour un trouble à l’ordre public et seulement 1,4 % après une condamnation pénale, avec un taux d’expulsion respectivement de 23 % et 45 %.

Qui sont les migrants enfermés en centre de rétention ?

Le placement en rétention, régi par des textes français et européens, intervient normalement lorsque les autorités estiment qu’il y a un risque de fuite ou un risque de trouble à l’ordre public. Une assignation à résidence peut également être prononcée comme alternative.

En 2023, 16 969 personnes en métropole et 29 986 en outre-mer sont passées dans vingt-cinq centres de rétention administrative. Si une expulsion n’a pas lieu dans les premières quarante-huit heures de rétention, un juge des libertés et de la détention statue sur une prolongation de vingt-huit jours, puis de trente jours. Si un laissez-passer consulaire est sur le point d’être délivré ou bien si la personne fait obstruction à l’exécution de la mesure, la rétention peut encore être prolongée de quinze jours, renouvelés une fois. « Mais la rétention n’est pas une peine, souligne Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes. Elle doit être envisagée lorsqu’on a une perspective d’éloignement dans des délais raisonnables. Sinon, la personne doit être libérée. »

Le Monde

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La législation a progressivement allongé la durée de la rétention, dont la moyenne en métropole est passée de 15,5 jours en 2018 à 28,5 jours en 2023. Avec des conséquences sur la santé mentale des personnes enfermées et le niveau de tension dans les centres, constate Mélanie Louis, responsable du pôle expulsion de la Cimade : « Aujourd’hui, on se demande si la rétention n’a pas une fonction punitive. »

Cet allongement n’aboutit pourtant pas à une hausse du nombre d’éloignements. En 2023, « près de 1 000 personnes supplémentaires ont été enfermées dans l’Hexagone, mais l’administration a procédé à environ 1 000 éloignements de moins depuis les CRA », selon le rapport annuel des associations intervenant dans les CRA. L’écrasante majorité (81 %) ont lieu dans les quarante-cinq premiers jours de la rétention, et moins de 8 % au-delà de soixante jours.

Comment expliquer un si faible taux d’éloignement ?

Un grand nombre d’experts ainsi que plusieurs rapports établissent que trop d’OQTF sont délivrées en préfecture sans que les dossiers n’aient été sérieusement étudiés.

Pour Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers et ancien président du groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la systématisation des OQTF en préfecture, renforcée par la circulaire Darmanin de novembre 2022, aboutit à « faire du tribunal administratif le nouveau guichet de la préfecture ». Selon le rapport d’activité du Conseil d’Etat publié en mai 2024, le contentieux relatif au droit des étrangers représente 41 % du total des décisions rendues dans les tribunaux administratifs. En 2022, ces tribunaux ont ainsi annulé 18 % des OQTF qui leur étaient présentées.

Dans un rapport de janvier 2024, la Cour des comptes déplore une pratique qui « engorge les préfectures et les juridictions, qui ne peuvent plus faire d’analyse qualitative de la situation de chaque demandeur et délivrent parfois des OQTF à des personnes insérées dans la société ». Les préfectures, surchargées, commettent des erreurs de droit et prononcent des OQTF contre des ressortissants de pays en guerre ne pouvant être renvoyés, ce qui « nuit au caractère dissuasif de la mesure d’éloignement ».

Des OQTF s’avèrent inexécutables en raison des relations dégradées entre la France et plusieurs pays. Si la personne n’a pas de document d’identité, ou que ce dernier paraît frauduleux, les autorités françaises sont obligées d’obtenir un laissez-passer consulaire (LPC) de son pays d’origine pour faire exécuter la reconduite à la frontière. Cela peut donner lieu à des querelles diplomatiques quand les pays concernés tardent à délivrer ces LPC. Entre 2021 et 2022, le gouvernement français a ainsi réduit drastiquement le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens, marocains et tunisiens. Cette technique s’est révélée peu efficace, selon la Cour des comptes, qui plaide plutôt pour une politique cohérente de coopération, « si possible à l’échelle européenne ».

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