Paris, le 25 septembre 2024,
Chères lectrices, chers lecteurs,
Ces derniers mois, l’idée d’un voyage en Ukraine surgit chaque jour dans mon esprit. Le temps de séparation avec ma famille, avec ma Sasha, est décidément trop long. Je n’ai pas vu ma sœur depuis novembre 2023, je ne l’ai pas connue enceinte, elle n’a même pas rencontré mon enfant, son neveu… Mais, en même temps, j’appréhende tellement. J’aimerais partir avec mon fils, mais il est tout petit. Que ferai-je en cas d’attaque ? Ma famille me dit que c’est trop dangereux, je leur réponds qu’eux y sont, que Sasha, qui va avoir un bébé, y est, alors pourquoi pas moi ? Avec ma sœur, nous avons trouvé un immeuble avec un parking en béton monobloc, ce qui, apparemment, est la meilleure manière d’être en sécurité pendant une attaque massive de roquettes. J’envisage d’y louer un appartement, mais les prix dans le centre-ville de Kyiv [Kiev, en ukrainien] sont exorbitants. Les mêmes qu’à Paris, sauf que le salaire moyen en Ukraine est de 18 800 hryvnias, ce qui équivaut à 420 euros.
En vérité, j’ai déjà acheté des billets de train Varsovie-Kyiv pour le 10 octobre. Mais j’hésite encore : voir enfin ma famille et leur présenter mon fils ou bien rester en sécurité avec le cœur fendu en deux ? Ces dilemmes impossibles sont mon quotidien, comme, je pense, celui de millions d’Ukrainiens.
Cela fait plus de trente mois maintenant que je me réveille avec la peur de regarder l’écran de mon téléphone. Mon cerveau déborde d’informations que ma conscience refuse d’intégrer.
4 septembre. Attaque sur Lviv. Je vois ce père de famille, le visage blessé et bleuté. Il a tout perdu, ses trois filles et sa femme.
7 septembre. J’apprends qu’une amie de fac a perdu ses deux cousins au front. Elle les considérait comme ses frères. Sa famille est dévastée.
10 septembre. Je découvre le témoignage d’un rachiste [contraction de « russe » et de « fasciste »] capturé par l’armée ukrainienne. La vidéo a été postée par la chaîne [du gouvernement ukrainien] United 24. Cet homme avoue sans aucun scrupule avoir violé trois filles, deux garçons et six femmes à Avdiivka, avant de les tuer à bout portant contre un mur. Sur ordre de son commandant, dit-il. J’ai reposté cette horreur sur mes réseaux, pour montrer au monde entier de quelle peste les Ukrainiens sont en train de protéger l’Europe.
Je regrette un peu maintenant, mais, sous le coup de l’émotion, de la douleur, de la rage, quand j’ai partagé la vidéo, j’ai ajouté « qu’un tel homme n’avait pas le droit de vivre ». On m’a répondu en commentaires que, en écrivant ça, je ne respectais pas la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les droits de l’homme et les droits des Ukrainiens à survivre sont donc deux choses différentes, pour les Occidentaux ? Et quand je dis les droits des Ukrainiens, je pense aussi à tous les autres peuples pris dans les guerres. Le fossé est si profond entre nous et les autres.
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