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FRANCE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE

Ce carnage-là a ouvert au flanc de la Nouvelle-Calédonie une plaie jamais cicatrisée, stigmate toujours à vif d’une mémoire pourtant saturée de meurtrissures. Le 5 décembre 1984, dix Kanak étaient massacrés lors d’un guet-apens tendu par un groupe de Caldoches métis dans la vallée d’Hienghène, sur la côte orientale du Caillou.

Véritable orgie de violence, la tuerie marquait le paroxysme de la crise ayant éclaté à l’occasion des élections territoriales que les militants du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS, indépendantiste) s’étaient employés, dix-sept jours plus tôt, à perturber physiquement, machettes et bouteilles incendiaires à la main.

Si la tragédie est entrée dans l’histoire, c’est autant par la furie criminelle qui l’avait caractérisée que par son traitement judiciaire déroutant. Près de trois ans plus tard, en octobre 1987, les jurés de la cour d’assises de Nouméa, parmi lesquels ne figurait aucun Kanak, ont en effet acquitté le groupe des sept tueurs. Le film d’Olivier Pighetti, Nouvelle-Calédonie, l’invraisemblable verdict, retrace la genèse et le déroulement de ce procès hors norme.

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Anomalie judiciaire

Exploitant des images d’archives émaillées d’illustrations sonores issues des enregistrements du procès − rendus publics pour la première fois −, le documentaire s’efforce de comprendre comment une telle anomalie judiciaire a pu se produire, au risque d’aggraver le schisme entre la population kanak et les institutions de la République. Symptôme de cette crise de confiance, l’archipel sera ensanglanté six mois plus tard par une nouvelle tragédie, celle des affrontements d’Ouvéa (29 morts en avril et mai 1988).

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Si le film demeure parfois approximatif dans la restitution du contexte (le FLNKS avait décrété un « boycott actif » et non un simple « boycott » des élections du 18 novembre 1984 ; tous les Européens de Nouvelle-Calédonie ne sont pas des Caldoches, puisqu’ils comptent aussi une frange significative de métropolitains), son intérêt pédagogique n’en est pas moins incontestable.

Le plus troublant est ce qu’il révèle de l’ambivalence des relations entre les tueurs et leurs victimes. Les premiers, menés par les broussards Raoul Lapetite et Maurice Mitride, sont des métis de condition modeste, des sang-mêlés vivant en autarcie aux confins des tribus kanak, dont ils connaissent la langue et la coutume.

Et, pourtant, cette proximité se disloquera dès que ressurgira du tréfonds de l’humiliation coloniale l’aspiration à la souveraineté kanak. « Un bien volé réclame toujours son propriétaire », clamera à la barre le chef du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), dont deux frères périrent dans le massacre. Oui, MM. Mitride et Lapetite disent vrai quand ils rappellent l’abandon de l’Etat face aux maisons incendiées et au climat d’intimidation qui visait alors les broussards isolés d’Hienghène. Non, leur thèse de la « légitime défense », eux qui avaient mûrement prémédité leur embuscade, est difficilement recevable, démontre Olivier Pighetti.

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C’est pourtant elle que le jury a épousée, sous les applaudissements du public européen présent le jour du verdict. M. Tjibaou l’avait pressenti, cet acquittement, lâchant dans un souffle : « Nous sommes tous des morts en sursis. »

Nouvelle-Calédonie, l’invraisemblable verdict, documentaire d’Olivier Pighetti (Fr., 2023, 52 min). Sur France.tv jusqu’au 29 décembre.

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