Il fut un temps, à portée de mémoire, où les meilleurs parents pouvaient asseoir un enfant à la « place du mort » dans leur voiture ou installer leur progéniture à l’arrière sans ceinture, où l’on fumait dans les lycées, où le harcèlement scolaire et professionnel était tabou. Portera-t-on, dans quelques années, le même regard atterré sur la façon dont nous fermons les yeux ou alléguons de notre impuissance face aux ravages des écrans et des réseaux sociaux sur les enfants et adolescents d’aujourd’hui ?
Paradoxalement, les parents surveillent infiniment plus leurs enfants qu’autrefois, mais acceptent, bon gré mal gré, qu’ils passent des heures (entre trois et cinq par jour chez les 7-19 ans) rivés sur des écrans. Une pratique qui altère durablement les capacités intellectuelles des petits et incite les adolescents à guetter compulsivement des signes de reconnaissance, leur donne en exemple des stéréotypes absurdes de beauté ou de sexualité, les confronte à la violence et à la pornographie, les place sous la domination de harceleurs, de charlatans et de semeurs de haine.
Comme pour la nicotine ou la vitesse sur les routes, la réalité et l’ampleur des dégâts sont établies. « Nous avons des données solides et pourtant il ne se passe rien. (…) Il s’agit de la santé des enfants, or on s’en fout », déplorait, fin avril, Bruno Falissard, président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cosignataire d’un texte alarmant réclamant des mesures de prévention au gouvernement.
Développement du langage et des capacités cognitives freiné, hyperexcitation permanente, troubles du sommeil et de la vision, intolérance à la frustration… Les écrans ne sont « pas adaptés à un cerveau en développement » et devraient être bannis chez les enfants de moins de 6 ans, y tranchaient cinq sociétés savantes.
Enquête centrée sur TikTok
Quant aux ados, leur addiction aux réseaux sociaux « réduit drastiquement leurs interactions sociales de visu » et « confisque l’apprentissage social », autrement dit la connexion émotionnelle aux autres, « aussi cruciale pour le développement social que le mouvement et l’exercice pour le développement physique », explique le psychologue social américain Jonathan Haidt dans Génération anxieuse (Les Arènes, 448 p., 24,90 euros).
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