FRANCE 2 – MERCREDI 12 MARS À 22 H 55 – DOCUMENTAIRE
« Eh bien, la vie est belle ! », lâche, ironique, Laure-Anne, substitute du procureur au tribunal de Bobigny, quand elle détaille à son supérieur, Ludovic, le parcours de cette adolescente, placée à l’âge de 13 ans dans une famille d’accueil (elle en fera quatre d’affilée), avant de fuguer et de connaître la prostitution.
Au cœur de la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France, Emmanuel Guionet a placé pendant plusieurs mois sa caméra à Bobigny, au sein de la division famille et jeunesse du parquet, qui traite des affaires concernant les mineurs et les violences intrafamiliales. Onze magistrats, la plupart très jeunes, qui donnent l’impression de devoir écoper toute la violence engendrée par la misère sociale, avec la seule petite cuillère du droit.
On comprend vite que les moyens manquent, que les équipes, au bord du surmenage, sont débordées. Un casque téléphonique quasi en permanence sur les oreilles, les magistrats doivent trier, évaluer, décider, la plupart du temps dans l’urgence : un bébé de 2 semaines qui disparaît, un jeune garçon qui se fait violenter sexuellement par son oncle… Et, bien sûr, les affres des OPP, ces ordonnances de placement provisoire qui permettent au juge de décider, seul, de placer un mineur dans une famille d’accueil.
Sans filtre ni commentaire
La caméra d’Emmanuel Guionet enregistre tout, y compris les questions de droit, aussi improbables que scabreuses : « Est-ce qu’un bisou sur le zizi peut être considéré, en droit, comme un acte de pénétration ? », demande une magistrate à son collègue.
On va notamment suivre les doutes existentiels de Cécile, substitute du procureur, qui prépare ses réquisitions dans une très lourde affaire de séquestration et d’enlèvement. C’est son premier grand procès d’assises. On la voit échanger avec son chef, Ludovic, qui la met en garde contre cet avocat « roublard, mais qui n’est pas mauvais ». Puis, quelques jours plus tard, à la pause cigarette, avec une collègue, évoquer la dangerosité du principal accusé.
On mesure l’ambition d’Emmanuel Guionet : être au plus près de la justice en train de se faire, sans filtre ni commentaire. Dépourvue de voix off et d’entretiens face caméra, toute la matière du documentaire est composée de scènes de la vie du service. C’est sa force, mais aussi sa grande limite. Car un téléspectateur qui n’est pas rompu au fonctionnement de la justice, et notamment celle des mineurs, risque de se perdre et de ne pas prendre la mesure de ce qu’il voit. De l’affaire traitée par Cécile, on n’entendra ni victime ni accusé. On saura juste que la substitute du procureur a requis dix-huit ans de réclusion criminelle. Et, au bout du compte, la justice restera en grande partie impénétrable.
Mineurs en peine, des procureurs en première ligne, documentaire d’Emmanuel Guionet (Fr., 2025, 70 min).