S’échapper de la mêlée. Telle est la stratégie de Celine qui évite de présenter le premier défilé de son nouveau directeur artistique Michael Rider à la fashion week d’octobre, où il aurait été noyé au milieu de ceux des designers fraîchement nommés chez Chanel, Dior ou Balenciaga. Après la semaine de la mode masculine et avant que la haute couture ne démarre, dimanche 6 juillet, Celine a mis en scène sa précollection printemps 2026 dans ses locaux du 16 rue Vivienne, à Paris.
Michael Rider hérite chez Celine d’une mission difficile, celle de succéder à Hedi Slimane qui a modelé la marque à son image entre 2018 et 2024, imposant une silhouette nerveuse et imprégnée de références rock et bourgeoises. C’est lui qui a lancé les lignes masculine, de maquillage et de parfum ; il a aussi repensé les campagnes de publicité et l’architecture des magasins. Les fondations posées par Hedi Slimane étant assez jeunes (notamment concernant l’homme ou la beauté) et le contexte économique peu propice aux investissements, un changement radical pour Celine ne semblait pas à l’ordre du jour.
Pour son premier défilé, Michael Rider s’est attelé à montrer trois facettes de l’histoire de la maison : les années 1960 et 1970 de la fondatrice Céline Vipiana, le travail de Phoebe Philo dont il a été le bras droit pendant neuf ans, et les années Hedi Slimane. Il en résulte une collection riche et hétéroclite. A l’homme comme à la femme, on retouve des silhouettes architecturées et colorées, avec des vestes de costume amples, des pantalons à pinces, des cardigans jetés sur les épaules, et des carrés de soie ou des cravates pour parfaire l’allure bourgeoise.
Ces looks fonctionnent d’autant mieux que Michael Rider leur apporte une touche décalée : les blazers sont un peu trop grands, les foulards noués à la va-vite s’en échappe à moitié, les ceintures se portent par trois, les broches en forme d’épi de blé sont à taille réelle… Le designer estime à raison que « le sens de la légèreté et de l’humour manquent cruellement dans le luxe ». Et en proposant des tenues moins parfaites, il les rend aussi plus singulières.


Il est dommage qu’il ne se soit pas cantonné à cette formule. La collection comporte aussi des robes noires à volants ou à paillettes qui semblent raconter une autre histoire ; un trop grand nombre de formes de pantalons (XL, ultra serrés, courts, baggy) et de chaussures (derbies plates, bottines à talons, baskets montantes, escarpins ouverts), qui rendent son propos moins lisible. En voulant « ne surtout pas effacer l’histoire de Celine » et en montrer les différentes facettes, le designer s’est un peu dispersé.
Mais c’est cette volonté de composer avec le passé qui a, entre autres, convaincu LVMH (à qui appartient Celine) de choisir Michael Rider. L’Américain de 44 ans est un homme discret qui a fait sa carrière à l’ombre de designers célèbres. Il n’a quasiment aucune présence numérique, ne possède même pas un compte Instagram pour nourrir son inspiration d’images de mode, comme le font ses confrères. « J’aurais peur que ça m’influence, que ça dilue mes idées. Et je ne dis pas ça parce que je pense être meilleur que les autres, c’est plutôt l’inverse », détaille-t-il dans son français parfait acquis durant ses nombreuses années passées à Paris.
Professeur pour des élèves en décrochage
Avant de baigner dans la mode française, Michael Rider a grandi à Washington, où ses deux parents avocats, impliqués dans le mouvement des droits civiques, lui ont fait fréquenter l’école publique par souci de mixité sociale. Plus tard, il a étudié les sciences politiques et s’est formé à l’enseignement à la prestigieuse université de Brown. Pendant deux ans, il a été professeur pour des élèves en décrochage scolaire en Californie.
« J’ai adoré cette expérience, mais j’avais 21 ans, et à un moment, j’ai senti que j’avais envie d’exprimer mon côté créatif », se souvient Michael Rider. Lui qui dessine et fabrique des vêtements depuis l’enfance décide de se tourner vers la mode. A New York, il déniche un stage chez un tailleur et un job de vendeur dans un dépôt-vente de luxe où il découvre les vêtements Balenciaga de Nicolas Ghesquière. Subjugué par la vision d’architecte du Français, il décide de tenter sa chance auprès de lui, et emménage en 2003 à Paris.
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Au début des années 2000, il n’y a pas de designer de mode plus admiré que Nicolas Ghesquière. « C’était une religion », sourit Michael Rider. Une religion à laquelle il adhère avec ferveur pendant cinq années, avant d’être appelé par Phoebe Philo pour travailler chez Céline (la marque a officiellement perdu son accent en 2018). Comme Nicolas Ghesquière, l’Anglaise élabore une mode singulière et avant-gardiste qui lui vaut un statut d’icône et une communauté soudée de fidèles.


Discret numéro 2, Michael Rider devient expert dans l’art de traduire en collections bien conçues les fulgurances de talentueux directeurs artistiques. Une compétence recherchée dans le milieu : quand il quitte Céline en 2017 un peu avant le départ Phoebe Philo, il reçoit de nombreuses propositions et accepte le poste de directeur du design chez Polo Ralph Lauren (la ligne plus accessible de la griffe américaine) à New York. Une marque grand public qui lui donne l’occasion de sortir du microcosme de la mode parisienne.
On retrouve dans le premier défilé de Michael Rider chez Celine des traces de son parcours, notamment le goût du produit hérité de Ralph Lauren ou l’esthétique chic et décalée de Phoebe Philo qui se méfiait de la beauté conventionnelle. Et une volonté de ne pas éloigner des clients adeptes d’Hedi Slimane. Cela fait beaucoup de paramètres. Gageons qu’à son prochain défilé, à la fashion week de Paris en octobre, Michael Rider pourra affirmer sa vision de Celine. On ne doute pas qu’elle sera tout aussi intéressante que celle de ses prédecesseurs.