Le procès de quatre hommes de nationalité bulgare jugés dans l’affaire des mains rouges taguées en mai 2024 sur le Mémorial de la Shoah – sur laquelle plane le spectre d’une ingérence étrangère – s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Paris, mercredi 29 octobre après-midi. Trois prévenus sur quatre étaient présents dans le box des accusés. Ils se sont présentés comme de simples exécutants guidés par l’appât du gain, rejetant toute motivation idéologique.
Ce dossier est la première jugée d’une série de tentatives de déstabilisation visant à « semer le trouble » et à « créer des fractures » dans la population française, avait affirmé en septembre la procureure de Paris, Laure Beccuau.
Pour les tags de mains rouges, trois personnes sont en détention provisoire depuis leur extradition de Croatie et de Bulgarie. L’absent, Mircho Angelov, visé par un mandat d’arrêt, est pourtant bien jugé. Les trois autres, qui comparaissent détenus, n’hésitent pas à charger celui qu’ils présentent comme le « leader » de cette entreprise menée dans la nuit du 13 au 14 mai 2024 au cours de laquelle plus de 500 tags ont été dénombrés, 35 sur le seul Mémorial de la Shoah. Plusieurs dizaines de tags similaires avaient été découverts sur des murs dans les 4e et 5e arrondissements de la capitale. Un agent de sécurité du Mémorial de la Shoah « avait surpris deux personnes » en train d’« apposer des pochoirs, et prendre la fuite à son arrivée », avait relaté le parquet.
Les suspects ont été identifiés grâce à l’analyse des images de vidéosurveillance, de leurs lignes téléphoniques, des réservations de vols et d’un hôtel. Trois d’entre eux avaient pris un bus pour Bruxelles le 14 mai juste après les faits, puis un vol pour Sofia.
« Je n’avais absolument aucune idée de l’endroit où nous nous trouvions. C’est Angelov qui repérait les lieux, il me disait, “ici” ou “là” », explique le premier, Georgi Filipov, qui jure ne pas s’être aperçu qu’il taguait le Mur des Justes du Mémorial, malgré les étoiles de David et les listes de noms – « si j’avais eu le temps de le parcourir des yeux, j’aurais peut-être pris le temps de prendre une autre décision ».
« Dans le passé, j’ai fait de mauvais choix »
Pourquoi avoir accepté de se rendre en France depuis la Bulgarie, via la Belgique ? « Pour des raisons d’argent », assure-t-il, mille euros en sus des frais de séjour. Pourquoi des mains rouges ? « Angelov m’a parlé d’un projet pour mettre fin à la guerre Israël contre Palestine », « la main gauche serait le symbole des victimes enfants : c’était son idée ». En tout cas pas un symbole pouvant être lié au lynchage de soldats israéliens à Ramallah, en Cisjordanie, en 2000, tel que le soutient le parquet.
Pourquoi l’avoir recruté, lui, le militant nationaliste qui arbore sur son torse le tatouage d’une croix gammée et dont plusieurs photos sur les réseaux sociaux le montrent tantôt faire un salut nazi, tantôt porter un t-shirt à l’effigie d’Hitler barré de la mention « He was right » (« Il avait raison ») ? « Même si ça peut paraître bizarre, ça n’a rien à voir », commence par répondre Georgi Filipov.
Avant de « supposer » malgré tout qu’il n’a « pas été choisi de manière aléatoire ». « Angelov, ses contacts russes, ont dû étudier ma situation, réfléchir sur moi », concède-t-il. Selon lui, à tort : « Dans le passé, j’ai fait des mauvais choix », il a quitté son mouvement politique, a déjà « effacé quatre tatouages », lesquels, d’ailleurs, « n’ont jamais visé le peuple juif », avance-t-il.
Cette piste russe a quoi qu’il en soit été mise en évidence par l’information judiciaire, qui a relevé « l’hypothèse que cette action était susceptible de correspondre à une action de déstabilisation de la France orchestrée par les services de renseignement » moscovites. D’autant que le service Viginum, chargé de la lutte contre les ingérences numériques étrangères, avait observé « une instrumentalisation » de cette affaire sur X « par des acteurs liés à la Russie ».
« L’ombre de la Russie »
Ce dossier s’inscrit dans d’autres affaires liées à des ingérences étrangères : les étoiles de David bleues taguées en région parisienne en octobre 2023 ; les cercueils déposés au pied de la tour Eiffel couverts du drapeau français et portant la mention « soldats français de l’Ukraine » en juin 2024 – pour laquelle Georgi Filipov a d’ailleurs été « mis en cause », mais en l’état pas mis en examen ; ou plus récemment, en septembre, les têtes de cochon déposées devant plusieurs mosquées d’Ile-de-France.
Avant l’ouverture des débats, son avocat, Me Martin Vettes, avait fait observer que « l’ombre de la Russie plane sur cette salle d’audience », pour mieux renvoyer les prévenus à de « simples exécutants qui n’avaient même pas conscience d’agir indirectement pour les intérêts » de Moscou. Le directeur du Mémorial, Jacques Fredj, avait pour sa part rappelé qu’il s’agissait du « premier acte antisémite » que l’institution avait à déplorer depuis sa création en 1956.
Deux des Bulgares dans le box ainsi que l’absent Mircho Angelov sont poursuivis pour dégradations en réunion et en raison de la prétendue appartenance à une race, ethnie ou religion, ainsi que pour association de malfaiteurs. Le quatrième prévenu, soupçonné d’avoir effectué les réservations d’hébergement et de transports des auteurs principaux, est mis en cause pour complicité dans les dégradations et association de malfaiteurs.
Tous encourent sept ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Le procès doit se tenir jusqu’à vendredi.











