« J’avais cette chance d’adorer mes enfants, m’étais arrangé pour leur plaire à mort, toujours ne leur répondre que oui », dit Salim, personnage principal du dernier livre de Magyd Cherfi, La Vie de ma mère ! (Actes Sud, 272 pages, 21,50 euros). Le chanteur écrivain de 61 ans a beau avoir écrit un roman, il lui ressemble drôlement, ce père, fils lui aussi d’une mère kabyle algérienne, et issu d’une grande fratrie. Ce père de fiction qui, comme lui, a deux fils à qui il voudrait dire : « Je suis content que vous n’ayez pas envie, à vos âges, de me quitter comme je crevais d’envie de quitter mes parents. » Dans la vraie vie, les deux fils que l’ex-leader de Zebda a eus avec sa femme, Zoulie, ont 27 et 30 ans. Et ils ont encore un pied dans le nid.
La première fois que vous vous êtes senti père ?
Bien avant la naissance. Je me disais : « Il va falloir que tout cela ait un sens. » J’ai compris avant qu’ils naissent qu’il fallait que je sois un bon père. Même si j’étais dans la musique et le rock, je ne voulais pas être le père artiste, le père baladin, le père hors-sol… Je voulais être un père présent, pas un père qui se raconte des salades.
Avez-vous déjà pleuré devant vos enfants ?
Je ne crois pas. Sans doute à cause d’une part de virilité, de représentation du papa protecteur qui ne pleure pas parce qu’il est fort, j’ai retenu mes larmes.
La pire chose que vous ayez dite à vos enfants ?
Quand ils ont subi leurs premières agressions racistes verbales à l’école, petits, ils m’ont dit : « Papa, on est français ? » En ne répondant pas tout de suite, en leur disant que, avec leur couleur de peau, on risquait de les renvoyer à leurs origines, j’ai fait naître le doute et ça m’a fait mal.
Dans « La Vie de ma mère ! », les fils reprochent à leur père de les avoir coupés de leur histoire, de leurs racines. Ils lui disent : « T’es pas né dans un chou ! »…
Oui, c’est aussi ce que font certains parents en pensant qu’en choisissant des prénoms bien français à leurs enfants ils vont esquiver les problèmes.
A 17 ans, mon fils aîné m’a dit qu’il voulait faire le ramadan. La mère de mes enfants et moi, on est plutôt athées, bouffeurs d’imams, de curés et de rabbins. Mais on a essayé de les élever sans montrer cette hostilité à la religion : quand on est dans un combat frontal, parfois, les enfants prennent des positions contraires à tout prix. On a préféré leur dire que chacun est libre de croire ou de ne pas croire, se placer sur un terrain ouvert pour leur offrir un état d’esprit plus souple. Alors quand l’aîné a voulu faire le ramadan, on a suivi, accompagné. Je faisais les courses, maman cuisinait… On en faisait des tonnes pour ne pas qu’il bascule dans une position contraire. Pour lui, cela a été une expérience – celle de ses potes et de ses cousins qui pratiquaient – plus qu’une adhésion. Il n’a pas demandé à le refaire l’année d’après.
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