Depuis quelques semaines, l’ombre d’une nouvelle « guerre des visas » plane entre Paris et Alger, en pleine crise diplomatique après plusieurs déclarations musclées de responsables politiques français qui ont conduit l’Algérie à dénoncer l’influence en France d’une « extrême droite revancharde ». « A chaque fois qu’il y a une crise entre la France et l’Algérie, la principale mesure de rétorsion, c’est sur l’immigration », rappelle Serge Slama, professeur de droit à l’université Grenoble-Alpes.
Les rapports entre les deux pays se sont dégradés après l’annonce par Paris, fin juillet, d’un soutien au plan d’autonomie marocain au Sahara occidental, territoire au statut non défini à l’ONU et théâtre d’un conflit depuis un demi-siècle entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger. La brouille s’est amplifiée avec la détention en Algérie de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, puis l’arrestation en France de plusieurs influenceurs algériens et franco-algériens pour apologie de la violence.
« Je suis favorable à des mesures fortes, car sans rapport de force, on n’y arrivera pas », a lancé, dimanche 19 janvier, le ministre français de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui estime que l’accord de 1968 fixant les conditions d’entrée en France des Algériens – que Paris juge favorables par rapport aux autres pays – doit être revu. Pour M. Retailleau, l’Algérie ne délivre en outre pas assez de laissez-passer consulaires, document indispensable pour renvoyer dans son pays d’origine une personne en situation irrégulière en France.
Toutefois, dans la crise actuelle, ni Alger ni Paris n’ont encore utilisé l’arme migratoire, brandie déjà à d’innombrables reprises par le passé. Comme en 2021, quand la France avait réduit drastiquement le nombre de visas accordés aux Algériens – ainsi qu’aux Marocains et aux Tunisiens –, estimant que leurs gouvernants, déjà, ne faisaient pas assez d’efforts pour réadmettre leurs ressortissants expulsés de France. La mesure avait provoqué vexations et brouilles diplomatiques entre Paris et ces ex-colonies françaises disposant d’une forte diaspora dans l’Hexagone.
« Pour négocier, il faut être deux »
Pour Farida Souiah, politiste à l’EM Lyon Business School, la polémique actuelle s’inscrit « dans des dynamiques plus globales » où beaucoup de pays utilisent les questions migratoires comme « leviers diplomatiques ». A l’instar des Etats-Unis, où le président Donald Trump a fait de cette thématique son cheval de bataille. Si une nouvelle guerre des visas franco-algérienne survenait, elle pourrait « créer une ambiance anxiogène », avertit Serge Slama. Notamment pour les 2,5 à 3 millions de binationaux ou de Français d’origine algérienne vivant en France, qui peineraient à voir leurs familles.
« Déjà aujourd’hui, c’est la croix et la bannière pour avoir un visa, observe le sénateur écologiste Akli Mellouli. Je ne vois pas ce que vous pouvez renforcer de plus. Ou alors on dit “zéro visa”, mais ça va affecter tout le monde. » Le climat politique actuel « risque » ainsi de créer « les conditions pour la division et l’affrontement » entre la diaspora algérienne et le reste de la population, avertit l’élu d’origine algérienne. Les critiques répétées à l’encontre d’Alger, qui se muent parfois en invectives, particulièrement à droite et à l’extrême droite, constituent selon lui autant de « signaux » donnés « à des nostalgiques, aux héritiers de l’OAS » (l’Organisation armée secrète, qui s’opposa violemment à l’indépendance de l’Algérie).
Selon un sondage publié en janvier, 71 % des Français ont une mauvaise image de l’Algérie. Et 61 % des personnes sondées se disent favorables à la révocation de l’accord de 1968. Mais pour Serge Slama, mettre fin à cet accord est « totalement irréaliste, parce que ça poserait des problèmes juridiques en cascade ». « La seule solution, c’est de négocier. Mais pour négocier, il faut être deux », dit-il. A Alger, où Paris accuse les autorités de jouer sur la « rente » de la décolonisation, le ministère des affaires étrangères estimait récemment que « l’extrême droite revancharde et haineuse, ainsi que ses hérauts patentés au sein du gouvernement français, mènent une campagne de désinformation, voire de mystification, contre l’Algérie ».
Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, estimait début janvier que les visas faisaient partie des « leviers que nous pourrions activer ». Il s’est ensuite dit prêt à se rendre en Algérie pour des discussions. Le retrait de l’accord de 1968 n’est « pas une recette miracle », a-t-il reconnu lundi. Mi-janvier, le ministre français de la justice, Gérald Darmanin, prédécesseur de M. Retailleau à l’intérieur, avançait une autre solution : « supprimer » l’accord franco-algérien de 2013 qui permet aux élites algériennes de se rendre en France sans visa. Mais « si on fait ça, les Algériens vont couper les passeports diplomatiques pour les diplomates français », souligne Serge Slama.