Jamais une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale n’avait mobilisé autant de signataires. Plus de 1,4 million de personnes ont, au 21 juillet 16 heures, signé la pétition intitulée « Non à la loi Duplomb – Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », lancée le 10 juillet. La pétition bat, depuis, tous les records : le seuil de 100 000 signatures a été dépassé vendredi 18 juillet, celui des 500 000 samedi dans l’après-midi et le million à peine vingt-quatre heures plus tard.
Lundi 21 juillet, le rythme des nouvelles signatures se maintient et démontre un mouvement de protestation citoyenne contre la loi Duplomb, adoptée le 8 juillet par l’Assemblée nationale. Ce texte vise à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » avec, notamment, la réintroduction encadrée de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, la facilitation des ouvrages de stockage de l’eau, comme les mégabassines, ou encore l’assouplissement des règles en matière d’élevage intensif.
La pétition vient ainsi relancer le débat sur cette loi qui n’a pas encore été promulguée par Emmanuel Macron. Face à ce succès, l’ensemble des partis de gauche réclament son abrogation. D’autant que le texte a été approuvé en commission mixte paritaire sans débat, après une motion de rejet préalable « tactique » déposée et votée par ses défenseurs afin de contourner les nombreux amendements.
Si c’est la première fois qu’une pétition citoyenne déposée sur le site spécifique de l’Assemblée nationale suscite autant de réactions, il se peut qu’elle ne débouche que sur un simple débat parlementaire à la rentrée. Juridiquement, les effets de ce type de pétition demeurent limités.
Comment déposer une pétition ?
Selon le site de l’Assemblée, « toute personne majeure, de nationalité française ou résidant régulièrement en France » peut déposer une pétition. Pour être déclarée recevable, elle doit répondre à quelques critères énumérés par le règlement de l’Assemblée nationale : son auteur doit indiquer ses nom, prénom et adresse et rédiger la pétition en français avec un titre et un objet précis.
Si le texte contient un appel ou une provocation à la violence et des propos injurieux ou discriminatoires, les services du Palais-Bourbon ont la possibilité de déclarer irrecevable la pétition. Une fois vérifiée par les services de l’Assemblée nationale, elle est publiée sur le site parlementaire consacré aux pétitions.
Depuis la réforme du règlement de l’Assemblée nationale en 2019, les pétitions qui recueillent plus de 100 000 signatures sont mises en ligne directement sur le site de l’Assemblée nationale pour plus de visibilité. C’est donc le cas depuis vendredi de la pétition pour l’abrogation de la loi Duplomb.
A partir de quel seuil l’Assemblée nationale doit-elle traiter une pétition ?
A partir de 500 000 signatures provenant d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, la conférence des présidents peut choisir soit d’« examiner le texte au cours d’un débat faisant l’objet d’un rapport parlementaire, soit [de] classer la pétition », détaille le site de dépôt de pétition de l’Assemblée. Autrement dit, ne rien faire du tout. « Cela pourrait être la première fois, sous la Ve République, qu’une pétition est débattue en séance publique si la conférence des présidents de l’Assemblée nationale décide de l’inscrire à l’ordre du jour », affirme le service presse du Palais-Bourbon.
Des pétitions ont-elles permis la remise en cause d’une loi ?
Le processus pétitionnaire de l’Assemblée nationale ne prévoit pas la suspension ou l’abrogation d’une loi et, devant le faible nombre de signatures recueillies par ces pétitions jusqu’ici, aucun précédent n’a pu faire un exemple.
Le Monde
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En effet, aucune pétition n’avait jusqu’à présent dépassé les 100 000 signatures, à l’exception de celle de mars 2023 qui demandait la dissolution de la BRAV-M, brigade policière à moto accusée de violences lors de manifestations. Elle avait recueilli exactement 263 887 signatures au moment de sa fermeture, le 5 avril 2023, et avait été simplement classée par la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Le succès de la pétition peut-il influencer le gouvernement et/ou le Conseil constitutionnel ?
Les parlementaires de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel afin de faire constater des manquements à plusieurs principes constitutionnels au moment de l’adoption de la loi et des « atteintes au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
La procédure législative prévoit que le président de la République a la possibilité de demander qu’une partie ou la totalité du texte soit réexaminée, « notamment pour remédier à une déclaration d’inconstitutionnalité » – ce n’est arrivé qu’en 1983, 1985 et en février 2003, pour la réforme des modes de scrutin aux élections régionales et européennes. Dans ce cas, le délai de promulgation est suspendu et le texte est repris en entier ou partiellement selon la censure du Conseil constitutionnel.
Autre issue possible confirmée par Robin Richardot, journaliste au service Politique dans un tchat avec les lecteurs du Monde : « Transformer » la pétition en référendum d’initiative populaire. Un cinquième des parlementaires (soit 185 sur les 925 députés et sénateurs) devraient prendre l’initiative de déposer une nouvelle proposition de loi. Ce qui semble tout à fait possible : rien qu’à l’Assemblée, 223 députés ont voté contre le texte. Une fois validée par le Conseil constitutionnel, cette proposition devrait ensuite être soutenue par 4,8 millions de personnes, soit un dixième des électeurs en France.