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Histoires Web dimanche, octobre 27
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Adolescent, le romancier guatémaltèque Eduardo Halfon a connu une terrible expérience. Le camp scout juif où ses parents l’avaient envoyé, en pleine forêt mexicaine, s’est soudain transformé… en un simulacre de camp de concentration nazi. Ses camarades et lui ont été traités comme des déportés, humiliés, rudoyés, violentés, dans le but de leur faire ressentir ce qu’avaient pu vivre leurs ancêtres. Un traumatisme, et un scandale quand leurs parents ont eu vent des dérives de l’organisation.

Quatre décennies plus tard, en résidence d’écriture à Berlin, Halfon raconte l’épisode et se rend compte qu’un autre pensionnaire, juif uruguayen, a vécu la même chose, quoique de façon moins extrême, dans un mouvement de jeunesse similaire. L’idée de Tarentule naît alors. « J’ai voulu briser un tabou, comme souvent dans mes livres », souligne l’écrivain qui, dans Deuils (Quai Voltaire, 2018), partait déjà à la recherche d’un oncle à l’existence passée sous silence. Mais comme toujours chez le romancier (né en 1971), vérité et fiction s’entremêlent, faisant de Tarentule une nouvelle pièce du complexe puzzle familial qu’il compose livre après livre, de Monastère (2014) à Un fils comme un autre (2022), en passant par Le Boxeur polonais (2015) et Cancion (2021), tous chez Quai Voltaire.

Déracinement

Une scène de Tarentule raconte comment le jardinier de la famille a enterré un morceau du cordon ombilical d’Eduardo Halfon, tout juste né, dans un lointain village guatémaltèque. « Mes racines étaient désormais plantées à tout jamais », remarque le narrateur. L’humour subtil du romancier, pétri d’autodérision, se niche dans cette phrase. Car s’il est un endroit qui lui est étranger, c’est bien sa terre natale. Deuils revient ainsi sur sa vie aux Etats-Unis, à partir de ses 10 ans, après que ses parents ont fui la guerre civile au Guatemala dans les années 1980. Il y confie notamment avoir abandonné sa langue maternelle, l’espagnol, au profit de l’anglais, et adopté les habitudes des petits Américains. Mais les Etats-Unis n’étaient qu’une étape sur un chemin marqué par une multitude d’exils (Pologne, Liban, Egypte). Et Tarentule en représente une nouvelle, qui voit le narrateur se poser à Berlin. Un territoire a priori douloureux pour un descendant de rescapé de la Shoah déporté non loin de la capitale allemande. « J’aime la tension littéraire que crée ce sentiment de malaise et de décalage, et qui ne se résout pas », explique l’auteur. Regarder le monde en éternel étranger : voilà la clé d’une œuvre intranquille où l’interrogation sur l’identité et le passé se fait chaque fois plus profonde.

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