ARTE – MARDI 19 NOVEMBRE – 00 H 45 – DOCUMENTAIRE
Il est des gestes documentaires plus impérieux que d’autres et qui, parfois, n’ont tenu qu’à un fil : habitant de Yarmouk, en banlieue de Damas (Syrie), alors plus grand camp de réfugiés palestiniens du monde, Abdallah Al-Khatib se voit confier une caméra par un ami qui tente de s’évader – ce dernier sera torturé à mort par le régime de Bachar Al-Assad. Cette mort l’oblige : Al-Khatib poursuit le geste de son camarade qui filmait le quotidien de Yarmouk assiégé par les forces armées du pays.
Un état de siège qui durera de 2013 à 2015, avant que l’organisation Etat islamique ne prenne le contrôle du camp. En 2018, les avions russes et l’armée syrienne y portent le coup de grâce et détruisent 80 % du site. Réfugié en Allemagne, avec sa mère, le jeune cinéaste ordonne les images récoltées durant le siège, transformant une réalité géopolitique lointaine et complexe en une expérience poétique, incarnée et infiniment douloureuse.
Ce document infiniment précieux n’a pas pour autant les atours d’un geste journalistique ou du spot humanitaire, mais ceux d’une forme artistique. Tout à la fois victime et témoin, attentif aux plus infimes détails, Al-Khatib erre dans les rues de Yarmouk, à la recherche de gestes et de visages, filmant le quotidien des habitants bientôt privés d’eau, d’électricité, de médicaments et de nourriture. Le cinéaste saisit la manière dont les privations modifient complètement le rapport au temps des habitants de Yarmouk, prisonniers de journées interminables, de l’ennui et de la faim qui gouvernent chaque heure et chaque corps.
Réversibilité des images
De nouveaux gestes apparaissent alors : un vieillard qui tente de récupérer la dernière goutte de café au fond de son verre, l’enfant qui cueille des mauvaises herbes comestibles, le cactus transformé en soupe, les longues marches vers rien qui deviennent un « rituel de survie » et la seule manière d’occuper ses journées.
A toutes ces séquences, d’une intensité parfois insoutenable, Al-Khatib n’adjoint aucun misérabilisme, mais l’attention du témoin qui, malgré la faim et les urgences, parvient encore à regarder, à exercer sa sensibilité, trouvant une forme de douloureuse beauté dans l’humour désespéré d’un vieillard palestinien qui a connu l’exil en 1948, les gestes de sa mère, infirmière. Sans doute toute la beauté de Little Palestine se loge là, dans cette réversibilité des images, qui disent le désespoir non négociable, le futur inexistant et l’arbitraire du présent, mais aussi la vie qui insiste et désobéit à ce paysage de mort, refleurit dans le dos de la désolation.
Il vous reste 16.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.