FRANCE 2 – MARDI 11 FÉVRIER À PARTIR DE 21 H 10 – JEU ET DOCUMENTAIRE
L’intelligence artificielle suscite fantasmes et craintes. Alors que se clôt à Paris le sommet de l’IA (les 10 et 11 février), France Télévisions tape juste en lui consacrant une soirée entière et particulièrement réussie. Conçue en deux programmes, elle casse le mythe – non, l’IA n’est ni intelligente ni artificielle – pour mieux appréhender ses capacités réelles, inédites, et en livrer un mode d’emploi sécurisé.
L’IA n’en reste pas moins bluffante, comme l’atteste La Grande Expérience, présentée en prime par… deux Julia Vignali (la vraie présentatrice et une comédienne à l’apparence modifiée par l’application DeepFace). Ludique, l’émission s’articule autour de défis, que l’IA et l’humain doivent relever : prédire l’avenir ; séduire un homme ; faire une chanson pour Amir ; créer une recette de hachis parmentier meilleure que celle de la cheffe étoilée Coline Faulquier ; remporter une chasse aux trésors dans le château de Maisons-Laffitte (Yvelines)… Légère sur la forme, cette première télévisée n’en est que plus efficace dans ses démonstrations.
Sans dévoiler qui de l’IA ou de l’humain va remporter chaque défi, la mise en garde maintes fois répétée par l’expert en IA Anis Ayari vaut pour tous : nous mettons beaucoup trop de nous en ligne. « Les téléspectateurs [doivent] se rendre compte qu’ils mettent trop de choses sur les réseaux », insiste Luc Julia, cocréateur de Siri, ex-vice-président de l’innovation de Samsung et directeur scientifique de Renault.
« L’IA est dans la copie »
Chacune de ses interventions fait mouche, notamment lorsqu’il rappelle que le mot « intelligence » n’a pas la même signification en américain et en français : la Central Intelligence Agency (CIA) n’est pas l’« agence centrale de l’intelligence », mais l’« agence centrale du renseignement ». Et la confusion arrange bien les communicants de l’IA…
D’autres précisions ont valeur d’indice. Comme garder en tête que l’IA est essentiellement anglo-saxonne. Elle intègre donc des valeurs plutôt racistes, patriarcales et… peu diététiques. « L’IA est biaisée par la société : l’IA ne pense pas », résume Francis Lelong, consultant digital, PDG d’Alegria. group. Luc Julia répète, lui, volontiers : « L’IA n’invente rien. L’IA est dans la copie (…). C’est pourquoi il faut se calmer. »
Mais au fait, que « copie » l’IA ? Elle copie les données stockées dans les data centers (centres hébergeant des serveurs) qui, loin d’être un nuage poétique (le cloud), prennent la forme d’un gigantesque entrepôt climatisé hébergeant des linéaires d’ordinateurs très énergivores, tant en électricité qu’en eau. « Deux requêtes ChatGPT gâchent un litre d’eau », souligne Luc Julia.
« Travail dans l’ombre »
Le fait que les data centers bétonnent les paysages et assèchent les rivières est relativement connu. Que 150 millions à 430 millions de personnes soient employés dans le monde pour « nourrir » ces data centers (chiffres OIT de 2024) l’est moins. C’est ce que révèle Les Sacrifiés de l’IA en seconde partie de soirée.
Le Monde Ateliers
Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir
DeepSeek, OpenAI ou Siri ont, en effet, besoin de données (data) actualisées par milliards. Et ce sont des êtres humains, recrutés dans les pays pauvres du Sud ou parmi les populations les plus fragiles (immigrés, réfugiés) des pays du Nord, qui leur fournissent. Sous-payés, exploités, parfois traumatisés par les contenus toxiques (pornographie, dark Web) qu’ils annotent…
Le réalisateur Henri Poulain est parti à leur rencontre : dans une prison finlandaise, à Sofia en Bulgarie, à Aix-la-Chapelle en Allemagne, dans les bidonvilles de Nairobi, au Kenya. Pour « ouvrir les yeux du public », dit-il, il en rapporte un film glaçant, révoltant et passionnant (avant de se perdre un peu dans le dernier quart d’heure).
![Un bidonville à Nairobi au Kenya. Image extraite du documentaire d’Henri Poulain, « Les Sacrifiés de l’IA ».](https://img.lemde.fr/2025/02/07/0/0/5120/2108/664/0/75/0/cecd319_sirius-fs-upload-1-wf3lehvkmhsd-1738939525695-lessacrific389sdel27ia.png)
« Quand on parle d’IA, on parle de personnes de chair et d’os, qui font le travail dans l’ombre », note Milagros Miceli, chercheuse, sociologue et ingénieure à l’Institut Weizenbaum à Berlin. Or, ce fait est caché, volontairement, selon elle, afin de « créer un mythe autour de ces systèmes ».
Certains « data workers » en prennent conscience : ils voient à la télévision que les entreprises qui les emploient font d’énormes profits. « Et nous, quel profit on tire de ce logiciel ? », dit l’un, qui pense « être sacrifié en tant qu’Africain ». Sur une décharge à ciel ouvert, un autre poursuit : « Notre travail, c’est de tout nettoyer pour vous, pour que vous puissiez profiter de l’IA dans les pays occidentaux. » Une suggestion ? « Il faut y mettre fin au plus vite », propose le narrateur.
Intelligence artificielle. La grande expérience, émission de divertissement présentée par Julia Vignali et réalisée par Olivier Ruan, suivie à 22 h 40 du documentaire inédit Les Sacrifiés de l’IA, d’Henri Poulain (Fr., 2025, 73 min).