Qui doit payer la facture des dégradations lors de manifestations violentes en France ? Avec les rassemblements contre la loi « travail » en 2016, le mouvement des « gilets jaunes » en 2018 et 2019, l’opposition à la réforme des retraites en 2023, les émeutes urbaines de l’été 2023, les affrontements en Nouvelle-Calédonie ou en Martinique en 2024, le montant des dégâts a fortement gonflé cette dernière décennie, dépassant 1 milliard d’euros, par exemple, pour les seules violences urbaines intervenues après la mort de Nahel, en juin 2023.
Devant les tribunaux administratifs se joue une bataille juridique discrète pour engager, ou non, la responsabilité financière de l’Etat dans le remboursement des biens détruits ou dégradés. Un débat d’apparence technique, mais qui dit beaucoup de la société française, de son rapport aux risques sociaux, au maintien de l’ordre et à la place de l’Etat.
La loi est, en apparence, assez simple. Le code de la sécurité intérieure dispose que « l’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». Toute personne ayant subi un dommage dans ce cadre est donc fondée à se retourner vers l’Etat, même lorsque aucune faute n’a été relevée, à charge pour celui-ci, ce qui arrive rarement, de se faire rembourser par les auteurs des délits.
Cette disposition est ancienne : dans la conception française, la paix sociale suppose que la collectivité dans son ensemble prenne en charge les effets du maintien de l’ordre ou de l’ordre qui n’a pas été maintenu. « La contrepartie du monopole de la violence légitime accordé à l’Etat, c’est que l’Etat paie lorsqu’il n’accomplit pas sa mission minimale de protection », résume Eric Landot, avocat spécialiste du droit public. « C’est un système de responsabilité ancien, depuis la Révolution française, qui permet de collectiviser les risques qui vont avec la liberté de manifester », ajoute l’avocat Georges Salon.
Recours de dizaines de banques
La revue des décisions récentes ferait blêmir dans une société libérale, elle ne fait pas vraiment débat dans une société comme la France où l’Etat occupe une place centrale.
L’inventaire des condamnations est impressionnant. Les vitres de protection et les caméras de surveillance autour de la tour Eiffel détruites pendant le mouvement des « gilets jaunes » le 9 février 2019 ? L’Etat vient d’être condamné à verser 392 000 euros à l’assureur (cour administrative d’appel de Paris, le 25 octobre). Une grue de chantier incendiée sur l’avenue des Champs-Elysées lors d’un autre « acte » des « gilets jaunes » ? 216 000 euros à l’assureur du propriétaire (tribunal administratif de Paris, le 24 septembre). Une intrusion par des lycéens et des « gilets jaunes » au sein d’un hypermarché Leclerc dans le Tarn conduisant à sa fermeture pendant deux jours ? 31 000 euros d’indemnité pour compenser les 7 % de marges perdues (cour administrative d’appel de Toulouse, le 1er octobre). Le Palais des congrès de Paris dégradé le 1er décembre 2018 ? 37 000 euros à la charge du contribuable (tribunal administratif de Paris, le 4 juin). Une pharmacie pillée place de l’Etoile par des « gilets jaunes » ? 41 000 euros d’indemnité. Du mobilier urbain abîmé à Toulouse et à Saint-Etienne ? Respectivement 59 000 euros et 102 000 euros. Des scooters d’une société de location détruits à Paris lors d’affrontements ? Près de 47 000 euros. Un véhicule de l’ambassade du Qatar dégradé par des manifestants ? 23 766 euros, etc.
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