Depuis la chute de l’URSS, en 1991, il était inscrit dans le marbre que le contre-espionnage français et son étendard, la direction de la surveillance du territoire (DST ; devenue « direction centrale du renseignement intérieur », en 2008, après la fusion avec les renseignements généraux, puis « direction générale de la sécurité intérieure », en 2014), avaient échappé aux infiltrations des services de renseignement du KGB soviétique pendant la guerre froide. Une plongée du Monde dans les milliers de pages remises aux Britanniques, en 1992, par le transfuge Vassili Mitrokhine, ancien responsable des archives du KGB, permet de nuancer cette idée érigée en vérité. Notre enquête lève le voile sur les dégâts considérables causés par une taupe nichée au cœur d’un service qui s’est longtemps cru préservé.
L’affaire débute, en 1949, dans un Berlin encore en ruine. En décembre, à Berlin-Est, une certaine Valentina Yukum, également connue sous le nom de Jadwiga Wilgemovna, une agente du KGB d’origine estonienne, également traductrice de l’administration militaire soviétique en Allemagne, a une bonne nouvelle pour sa hiérarchie. Après des mois d’approche, elle vient de recruter un policier français de la brigade de surveillance du territoire de Berlin-Ouest, l’une des vingt antennes délocalisées de la DST. Son nom : Pierre Chaignot.
L’homme est né le 30 août 1921, à Verdun, dans la Meuse. Son père est mort des suites de la première guerre mondiale, et sa mère, institutrice, a obtenu qu’il soit reconnu pupille de la nation. En 1941, il décroche le baccalauréat à Poitiers, option philosophie. C’est un lycéen docile, appliqué sans être brillant, un peu obséquieux même. Il montre des facilités en langues étrangères, en particulier en allemand. Ses cheveux blonds sont coiffés en brosse et des lunettes rondes habillent son visage fin, barré d’un léger sourire. En novembre 1941, le rectorat le nomme maître d’internat au collège de garçons de Saintes, en Charente-Maritime.
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