LCP ASSEMBLÉE NATIONALE – JEUDI 23 JANVIER – 20 H 30 – DOCUMENTAIRE
« Un musée invisible ouvert à tous vents. » Tels sont les monuments aux morts de la Grande Guerre − auxquels furent ajoutés au fil du XXᵉ siècle les noms des morts des autres conflits − qui parsèment le paysage des villes et des villages de France et de Navarre. « On ne fait plus attention à eux, pas plus qu’aux panneaux de signalisation, aux poteaux électriques », dit le commentaire du film de Jérôme Prieur.
Pourtant, quelle meilleure illustration du « grand carnage » que ces statues, sous lesquelles sont inscrits par milliers les noms des disparus. « Le “théâtre des opérations” restait largement inimaginable pour ceux qui ne l’avaient pas fréquenté. Le travail des sculpteurs a consisté à remplir ce vide », explique le réalisateur qui a entrepris un véritable tour de France et revendique de « jouer avec l’imaginaire du spectateur, avec ses émotions, avec sa mémoire, avec son imagination ».
L’imagination fut d’abord celle des sculpteurs, connus ou anonymes, qui s’échinèrent à « rendre visible ce qui n’était pas racontable ou pas supportable − la guerre, l’attente, la souffrance, l’épuisement, l’endurance… » Une façon d’offrir aux familles ces funérailles qui ne purent avoir lieu pour nombre de disparus.
Glorifier la guerre
« Pour la première fois, les guerriers inconnus ont le droit d’être nommés, et pas seulement les chefs de guerre. » Simples soldats, sous-officiers, officiers, paysans, ouvriers, citadins, pauvres, riches furent tous logés à la même enseigne : un nom, une date. Au moment même où le cinéma muet cède la place au cinéma parlant, les artistes et les architectes funéraires ont réalisé de véritables mises en scène. Les statues ne parlent pas, elles racontent.
Elles racontent cette guerre totale. Ces combattants que l’on voit monter à l’assaut ou tomber au champ d’honneur, mais aussi ces familles, ces enfants, ces proches restés à l’arrière. La détresse, la mélancolie, la honte, la colère. L’espoir, aussi, que ce serait la « der des der », disait-on… « Ces monuments contiennent pour moi comme un noyau radioactif », résume le réalisateur.
Son film entre en résonance avec le prix Goncourt de Pierre Lemaitre Au revoir là-haut (Albin Michel 2013). Il rappelle combien l’unanimité n’était pas toujours de mise, au lendemain du 11 novembre 1918. « Elève-t-on des monuments à la lèpre ? », s’insurgèrent d’anciens combattants revenus de l’enfer, effrayés qu’on puisse glorifier la guerre, soulignant qu’on pourrait « bâtir une ville avec ces matériaux gaspillés ».
Alors, les comptes d’apothicaire se déploient dans toutes les communes de France, qui se retrouvent en première ligne pour financer cet immense musée commémoratif. Et c’est là toute la richesse du documentaire, que de montrer les différences entre les monuments aux morts des uns et des autres. « On organise des bals payants, des séances de cinématographe, des concerts, des ventes de charité, et même une corrida ! », commente la voix off. Il faut trouver de l’argent, mais aussi, surtout, resserrer les rangs des citoyens. « L’œuvre à créer doit être l’œuvre de tous », dit Amédée Tarrade, le maire de Châteauneuf-la-Forêt (Haute-Vienne), qui y fit ériger en 1924 une statue de la liberté sur le modèle de celle de Bartholdi.
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Ces statues grises et graves, plus que des sentinelles de l’oubli, sont les sentinelles de la mémoire.
Les Sentinelles de l’oubli, documentaire de Jérôme Prieur (Fr. 2023, 62 min).