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Dans sa politique d’aide au covoiturage, le gouvernement a commis « une erreur manifeste d’appréciation ». C’est le constat que dresse le Conseil d’Etat dans une décision rendue mardi 25 juin qui annule un dispositif-clé des politiques de soutien au secteur. Un camouflet pour le ministère de la transition écologique, dont émane la mesure, dans le cadre de laquelle des dizaines de millions d’euros ont été distribués depuis 2023. Mais aussi pour la plate-forme Blablacar, qui en était le principal bénéficiaire.

Le gouvernement a mis en place en janvier 2023 plusieurs aides pour encourager le covoiturage. Il s’agit principalement de primes accordées aux automobilistes qui s’inscrivent sur les plates-formes de mise en relation entre particuliers. Le Conseil d’Etat était ainsi saisi du sujet des incitations financières aux trajets de longue distance (plus de 80 km). Ces subsides ne proviennent pas des caisses de l’Etat, mais d’une manne parapublique : les certificats d’économie d’énergie (CEE). Ce système reposant sur le principe du pollueur-payeur oblige les énergéticiens à financer des actions de sobriété énergétique (isolation thermique, fret ferroviaire, installation de chaudières performantes…) en achetant des certificats, qui justifient des opérations réalisées.

Concrètement, une fiche CEE sur le covoiturage de longue distance a été créée dans le cadre du plan covoiturage. Lorsqu’un conducteur s’inscrit sur une application dédiée et valide son premier trajet, cette dernière peut générer des CEE d’une valeur d’environ 130 euros, dont 25 euros sont reversés à l’utilisateur. Un bonus a même été accordé en 2023, rapportant au total 260 euros à la plate-forme, dont 100 euros reversés aux covoitureurs, lorsque trois trajets sont validés en moins de trois mois.

Des économies d’énergie jugées disproportionnées

C’est la société d’autocars Flixbus qui a porté ce dossier devant le Conseil d’Etat. « On a considéré que cette concurrence était favorisée par une manne financière indue », explique au Monde Charles Billiard, responsable de la communication de l’opérateur. En pratique, c’est l’application Blablacar (par ailleurs concurrente de Flixbus pour les trajets en autocar), qui bénéficie de la quasi-totalité des crédits sur les trajets de longue distance, comme l’a révélé Le Monde en avril. Elle a noué un partenariat avec TotalEnergies, qui lui achète la majorité de ces certificats.

Flixbus contestait principalement le niveau d’économies d’énergies anticipées par le ministère de la transition écologique. Dès la validation d’un simple trajet d’au moins 80 km, la fiche CEE longue distance prévoit d’accorder des certificats correspondant à plus de 20 000 km sur douze ans. Pour le Conseil d’Etat, « aucune étude indépendante » versée au dossier n’accrédite ces calculs.

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La juridiction critique également un « effet d’aubaine » dans la mise en place de ces aides. Ainsi, « une grande partie de ceux qui auparavant pratiquaient le covoiturage sans utiliser les plates-formes électroniques » ont pu bénéficier des crédits. Elles ont également pu favoriser le covoiturage « au détriment d’autres modes de transports plus économes en énergie », comme le train. Autant de raisons qui ont conduit le Conseil d’Etat à annuler l’arrêté créant ces primes pour « excès de pouvoir ».

Une importante perte financière pour Blablacar ?

Cette décision aura des conséquences directes sur le marché, alors que 491 000 automobilistes ont bénéficié d’une aide au covoiturage longue distance en 2023, selon le ministère de l’économie. Ces trajets ont généré un volume de CEE d’une valeur de l’ordre de 100 millions d’euros, selon les estimations du Monde, fondées sur ces chiffres et la valeur de marché des certificats. La quasi-totalité de cette manne revient jusqu’ici à Blablacar, qui en a reversé environ un tiers au conducteur, comme le prévoit le plan covoiturage. L’enjeu est de taille pour la plate-forme, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 253 millions d’euros en 2023.

Au Monde, le Conseil d’Etat indique que les demandes de prime déposées à partir de sa décision devront obligatoirement être rejetées. L’annulation ne sera en revanche que partiellement rétroactive : le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, a la possibilité de « retirer les CEE délivrés depuis moins de quatre mois ». Contacté par Le Monde, le ministère de l’économie indique que « les administrations sont en train d’évaluer les conséquences à tirer de la décision ». Il est par ailleurs possible que d’autres contentieux apparaissent prochainement autour des CEE covoiturage, notamment de courte distance.

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Une certitude tout de même : « On ne va pas demander aux conducteurs de rembourser, cela n’aurait aucun sens », assure Nicolas Brusson, directeur général de Blablacar. Selon lui, la décision « technique » du Conseil d’Etat ne remet pas en cause le bien-fondé du covoiturage. Il rejette également la remise en cause par l’institution des économies d’énergies estimées : « On a fourni énormément de données à l’administration. On ne peut pas faire plus traçable. » Le dirigeant espère dès lors la publication prochaine d’un nouvel arrêté pour que des primes CEE au covoiturage de longue distance soient remises en place. La plate-forme n’entend en revanche pas contester juridiquement la décision.

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