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Un ministre député peut-il voter au sein de l’hémicycle ? La question va se poser avec acuité dès l’ouverture de la session extraordinaire d’été de l’Assemblée nationale, jeudi 18 juillet. La préoccupation n’est pas seulement de savoir qui sera élu à la présidence de l’Assemblée, mais porte également sur la légalité des votes éventuels des membres du gouvernement sortant de Gabriel Attal qui ont été élus ou réélus députés.

Car les deux premiers jours de cette session parlementaire verront l’élection de nombreux postes de pouvoirs. Outre celui du président de l’Assemblée nationale, les vice-présidents, les questeurs et les présidents des commissions parlementaires devront être désignés. Autant de postes stratégiques qui rendent ces scrutins internes importants, et auxquels comptent bien participer Gabriel Attal et ces seize membres de son gouvernement.

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La validité de leur participation à ces élections est néanmoins sujette à une sérieuse controverse depuis quelques jours par une partie des observateurs et de la classe politique. Bruno Retailleau a estimé jeudi 11 juillet sur CNews que l’exécutif était « en train de faire une erreur juridique assez grave ». « Si ces ministres, démissionnaires certes, mais ministres quand même, s’imaginent qu’ils pourront être aussi députés et voter à l’Assemblée nationale, ils devraient relire la loi organique qui impose de faire un choix. Ou on est ministre ou on est député. Il y a une incompatibilité entre les deux », a déclaré le président du groupe Les Républicains au Sénat.

Marine Le Pen a également critiqué, mercredi 17 juillet sur BFM-TV, une « violation de l’esprit de la Constitution ». Si la situation politique, inédite sous la Ve République, exige d’apporter une réponse nuancée à cette question épineuse, il semble bien que le vote des dix-sept députés ministres pourrait être illégal au regard de la Constitution française.

L’interprétation d’un article du code électoral au cœur du débat

Le texte principal qui fonde cette contestation est l’article 23 de la Constitution, qui interdit d’être à la fois membre du gouvernement et parlementaire. Mais si le principe est posé par la Constitution, les modalités de cette incompatibilité sont, elles, fixées par la loi. L’article LO153 du code électoral dispose ainsi que le député membre du gouvernement a un mois, à partir du moment où il est appelé au gouvernement, pour choisir entre la députation et le gouvernement.

« On veut qu’un député ou un sénateur ne soit pas en même temps ministre, mais on ne veut pas que le couperet tombe immédiatement, on veut lui laisser un délai pour opter entre l’un et l’autre », décrypte Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay. Pendant ce délai, détaille l’article du code électoral, « le député membre du gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire ». Il précise enfin que les deux fonctions ne sont pas incompatibles entre elles « si le gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai ».

L’exécutif et Gabriel Attal se défendent en faisant une lecture selon laquelle être membre d’un gouvernement démissionnaire leur donne le droit de participer aux scrutins à l’Assemblée, une lecture que d’autres spécialistes partagent, à l’instar de Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, qui estime auprès de Public Sénat qu’il s’agit d’une « interprétation possible ». « C’est cette interprétation que voudrait voir appliquer l’Elysée », ajoute le constitutionnaliste.

Cette lecture ne fait toutefois pas consensus, l’article mentionnant la fin de « l’incompatibilité » en cas de gouvernement démissionnaire mais pas explicitement du fait de ne pas prendre part au scrutin. Une lecture plus critique de cet article peut conduire à déduire que tant que la personne est à la fois députée et membre d’un gouvernement démissionnaire, elle ne serait plus obligée de choisir au bout d’un mois, mais elle ne pourrait toujours pas participer aux scrutins, puisqu’elle resterait ministre (ou secrétaire d’Etat). Elle serait donc temporairement un(e) député(e) « neutre ».

Doute autour de la thèse du « fonctionnaire de fait »

Une autre hypothèse multiplie les lectures juridiques : on ne pourrait pas appliquer ces incompatibilités parce que le gouvernement ayant démissionné, ses ministres n’ont plus vraiment le statut de ministre. « Mon ministre n’est pas ministre, il ne fait qu’office de ministre. On ne prend pas en compte ces incompatibilités car par définition ce sont des situations temporaires », argumente Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.

Le Monde

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Cette lecture fait intervenir la théorie du « fonctionnaire de fait », une vieille jurisprudence en droit administratif selon laquelle les actes pris par un fonctionnaire dont la nomination ou l’élection serait entachée d’irrégularités restent valides. Ainsi, les décisions prises par un maire dont on invaliderait plus tard l’élection ne sont pas elles-mêmes invalidées. Elles devraient être déclarées irrégulières et donc annulées, mais une telle application poserait de graves problèmes et il a donc été considéré que ces actes seraient considérés comme valides. C’est ce que l’on appelle une « fiction juridique ».

Certains jugent très peu probable qu’une telle jurisprudence puisse se défendre pour des membres d’un gouvernement qui sont également des agents publics. En effet, traditionnellement, cette jurisprudence « vise à couvrir une irrégularité », explique Julien Boudon (qu’elle soit liée à une élection, les conditions d’une nomination ou le dépassement de l’âge maximum pour le poste, etc.). Or, ici, « il n’y a pas d’irrégularité, le gouvernement a présenté sa démission et elle a été acceptée », poursuit le spécialiste. Le gouvernement est en effet investi par le président de la République pour expédier les affaires courantes, qui demeure un « principe traditionnel de droit public ».

De plus, la théorie des « fonctionnaires de fait » ne dit rien du statut des agents publics dont la nomination ou l’élection est contestée, mais est plutôt destinée à trancher sur la légalité des actes administratifs pris par lesdits fonctionnaires. En bref, elle ne nous dit pas nécessairement si un ministre est toujours ministre en cas d’irrégularité, mais que ses actes seraient jugés légaux même si sa nomination devait être annulée.

La difficile contestation des votes des députés ministres

Si les membres du gouvernement participaient aux scrutins prévus les 18 et 19 juillet à l’Assemblée nationale, quels recours seraient possibles ? Ce point est là aussi difficile à trancher, car il ne s’est quasiment jamais présenté. L’article 151-2 du code électoral prévoit par exemple que le Conseil constitutionnel, s’il est saisi, puisse trancher la question d’une incompatibilité entre le mandat de député et une activité professionnelle. Mais d’une part, cela ne réglerait pas forcément la question du droit de participer aux scrutins, et d’autre part il est difficile de dire si la fonction de ministre peut être considérée comme une simple activité professionnelle. Le Conseil constitutionnel, qui s’est déjà estimé incompétent en 1986 à trancher sur la régularité de l’élection du président de l’Assemblée nationale, pourrait s’estimer à nouveau incompétent à arbitrer cette question.

Une autre piste serait celle d’une intervention potentielle du président nouvellement élu de l’Assemblée, au titre de l’article 7 alinéa 3 du règlement. Celui-ci prévoit, en cas d’incompatibilité entre le mandat de député et une fonction gouvernementale, que le président procède à son remplacement. « Le président de l’Assemblée nationale pourrait dire sur le fondement de l’article 7 du règlement “je considère que les dix-sept députés ministres sont dans une situation d’incompatibilité et ne peuvent donc pas participer aux scrutins ; le vote qu’ils ont porté sur mon nom ou sur celui d’un de mes adversaires est invalide et je leur interdis la participation aux votes tant qu’ils n’ont pas été remplacés au gouvernement” », analyse pour sa part le professeur de Paris-Saclay Julien Boudon.

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